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L’observation brutale de M. Raffaelli, appliquée aux vulgarités naïves ou douloureuses de la vie populaire et parisienne, reprend tous ses mérites à côté de cette peinture languissante, d’une inspiration si limitée et d’une poésie si factice. Les procédés de M. Raffaelli, qui ne sont, à vrai dire, que ceux du dessinateur appliqué à la peinture, ont, sans doute, quelque chose d’insolite et de presque barbare qui surprend d’abord l’œil. Pourquoi tenir un pinceau trempé d’une couleur molle et fusible, si l’on ne s’en sert que pour couvrir une toile de rayures et de hachures, comme on ferait avec un fusain sur le papier, et sans chercher beaucoup plus de variété dans les colorations ? En réalité, il faut prendre les peintures de M. Raffaelli pour des espèces de cartons teintés ; et plus elles se rapprochent du dessin, meilleures elles sont ; mais, une fois le procédé admis, il faut reconnaître que M. Raffaelli en tire des effets saisissans, et qu’il possède un sentiment de la réalité très vil et très intense, malgré son insouciance pour la solidité des corps et pour le dessous des habits. Les Vieux Convalescens, dans une cour d’hospice, sont d’une vérité touchante et navrante. Toutelois, les meilleures qualités de M. Raffaelli, comme observateur et comme dessinateur, nous semblent résumées dans une étude d’homme, certainement prise sur le vif, qu’il appelle le Sculpteur idéaliste. C’est un des beaux portraits de ce Salon, où il y en a beaucoup.

Portraits et paysages, on peut dire qu’ici presque tout le monde fait des uns et des autres, mêlant le plus souvent les uns aux autres. M. Carolus Duran compte parmi les rares exceptions. Tous ses portraits, brillamment enlevés, gardent le fond traditionnel, le fond neutre ou de tenture. Presque seul il ne fait aucune part, ni au paysage, ni au mobilier dans l’explication de ses figures. Il s’en fie, pour leur donner la vie, à son extraordinaire virtuosité, au don unique qu’il possède de les vêtir d’étoffes souples et chatoyantes dont l’éclat, se mariant à l’éclat des carnations fraîches et roses, compose, à distance, un assemblage de tons toujours agréable. Cette année, nous avons le bouquet gris, dans le Portrait de Mme la comtesse de C.., d’une harmonie très distinguée ; le bouquet lilas clair dans celui de Miss D.., le bouquet rouge somptueux et éclatant, grenat et groseille, dans le portrait en pied de Mme A.., d’une allure très particulière et très caractérisée. Au point de vue physionomique, c’est toujours et naturellement dans les portraits de ceux qu’il fréquente et connaît bien, dans les portraits d’artistes et d’amis que réussit le mieux M. Carolus Duran. Son Portrait de M. J.-J. Henner, d’une exécution si libre et d’une expression si ressentie, se placera, dans l’avenir, à côté du Portrait de M. Français.