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mouvement, de réalité et de vie. Le vague, qui peut convenir à des rêves allégoriques, serait tout à fait déplacé dans des sujets historiques. MM. Delance et Adolphe Binet ne sont pas sans le comprendre, mais ils le comprennent encore insuffisamment. Il s’en faut de peu que la composition de M. Delance pour le Tribunal de commerce, les Nantes parisiens à l’époque gallo-romaine, ne soit une tort bonne peinture. L’arrangement en est pittoresque et facile. Sur un quai de la Seine, devant l’île où se dresse le fronton d’un temple avec une statue colossale de déesse, un personnage en toge, déroulant un papyrus, surveille le mouvement du port. C’est le va-et-vient, que nous connaissons, de débardeurs déchargeant des embarcations, portant des faix sur leurs épaules, roulant des tonneaux ; dans un coin, une pauvre femme tient son marmot sur son bras, enveloppé dans des loques et deux gamins, presque nus, couronnés de feuillages, jouent à saute-mouton. La transposition de la vie moderne dans le monde antique est faite avec une science suffisante, de l’esprit, de l’observation, sans affectation ni pédantisme, et le paysage parisien, vu au crépuscule, est traité avec un grand sentiment de l’air et de la lumière. Pourquoi faut-il que la plupart des figures, si bien indiquées, si justes de mouvement, demeurent si flottantes et d’une forme si incertaine ? L’homme à la toge et les enfans qui jouent sont presque seuls mis au vrai point ; en sont-ils moins bons pour cela ? Et l’effet général de la toile serait-il moins heureux si, en s’arrêtant sur chaque point, après avoir approuvé l’ensemble, nos yeux y rencontraient moins de mollesse, d’à-peu-près, d’insuffisances ? Nous nous abandonnerons aux mêmes plaintes à propos du panneau de M. Adolphe Binet pour l’Hôtel de Ville, les Marins au siège de Paris. Cette peinture est bien composée, avec plus d’animation et de force que la Sortie de l’an dernier ; le mouvement des soldats rampant dans la tranchée, silencieusement, baissant la tête, est indiqué avec une grande justesse d’attitudes et de gestes, l’ensemble de la coloration comme de l’ordonnance est fermement établi ; on sent même, dans bon nombre de figures, plus de souci de la solidité ; mais pourquoi cette recherche s’arrête-t-elle précisément là où elle devrait surtout se montrer ? Pourquoi les figures du premier plan sont-elles si molles et si lâchées ? Il suffit de ces inégalités et de ces incertitudes pour enlever à une bonne œuvre une grande partie de son autorité et de son effet.

Les autres décorations destinées à des monumens publics rentrent dans la donnée ordinaire de ces sortes de travaux. Des deux figures de M. Duez, en tympans cintrés, pour l’Hôtel de Ville, la Physique et la Botanique, cette dernière nous semble la plus