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égoïsme. Avant qu’on ait lu, dans un angle, la devise insolente : Pour ce qui me plest, on sent vite à qui l’on a affaire. C’est ce que nous entendions, un dimanche, exprimer naïvement par un ouvrier qui arrêtait sa famille devant ce relief : « Regardez donc celui-là. Il n’y en a que pour lui. » Ce brave homme n’avait pas de livret et ne connaissait sans doute pas Olivier de Glisson, mais le sculpteur a si nettement imprimé à sa figure son caractère moral qu’il est impossible de ne pas en être frappé. La sculpture historique, comprise de cette façon, est une des formes de l’art qui, dans l’état de notre civilisation, offre certainement le plus de ressources pour les artistes et le plus d’intérêt pour le public.

Comme d’habitude, à côté de ces œuvres décoratives ou monumentales qui ont une destination bien déterminée et dans lesquelles les artistes ont dû se soumettre aux exigences de l’emplacement et du sujet, nous trouvons un plus grand nombre d’ouvrages de fantaisie où l’imagination de l’artiste n’a cherché qu’à nous montrer librement sa science de la forme, de la vie et de la beauté sous un prétexte quelconque. Parmi ces morceaux de virtuoses, le Nessus, de M. Marqueste, tient assurément le premier rang. Ce groupe, d’une donnée toute classique, mais d’une exécution supérieure, témoigne de la force heureuse que conserve chez nous encore l’enseignement traditionnel. Tant qu’il se trouvera, en France, des sculpteurs pour agencer, modeler, tailler de grandes figures en action avec un sens si net du rythme sculptural et une science si sûre de la forme et du mouvement, on pourra y montrer plus ou moins de génie, plus ou moins de personnalité, plus ou moins de nouveauté dans l’invention ; mais, du moins, la technique et le goût seront forcés de s’y tenir, chez tous, à un certain niveau qui les préservera des erreurs trop grossières et des insuffisances trop puériles. Le Centaure est représenté à l’instant où, emportant Déjanire à travers le fleuve, le dos déjà traversé par la flèche d’Hercule, il atteint la rive opposée. Les pieds de devant s’attachent violemment au roc, tandis que les pieds de derrière glissent encore sur le sol humide. Déjanire, nue et levant un bras vers le ciel, se débat, à moitié assise sur le dos du monstre, entre ses bras nerveux. Les profils de ce groupe se présentent, de tous les côtés, de la façon la plus expressive et la plus heureuse, les formes en sont pleines et robustes ; l’exécution du marbre est conduite avec la sûreté d’un ouvrier expérimenté. Il y a plus de désir de nouveauté, moins d’expérience et moins de goût chez M. Soulès, qui possède, d’ailleurs, un vrai tempérament de sculpteur. Son Enlèvement d’Iphigénie, que nous avions déjà signalé à l’état de modèle, se fût mieux prêté, ce semble, à une traduction en bronze