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entraîne, la tâche est rude ; mais plus l’effort est pénible et plus le devoir est impérieux.

Toute société politique est divisée en trois groupes : ceux qui se lancent en avant, ceux qui résistent au mouvement, et entre eux une foule qui n’appartient à aucun parti, qui attend et qui demeurera juge.

En ce moment, en France, entre les groupes ou les factions qui veulent la prolongation de la guerre religieuse, parce qu’elle seule constitue leur raison d’exister, il y a une masse considérable de gens paisibles, ayant horreur des révolutions, n’en ayant jamais fait, ayant redouté à l’avance toutes celles de ce siècle, s’étant ralliés le lendemain au pouvoir nouveau par besoin de repos, conservateurs par essence, toujours enclins à se porter du côté du gouvernement, craignant par-dessus tout les secousses, assez ombrageux vis-à-vis du clergé, mais ne voulant pas l’oppression et très prête, si elle la voit poindre, à se retourner du côté des opprimés. C’est à la masse flottante qu’est demeuré presque en tout le dernier mot depuis quatre-vingts ans. Ses moindres déplacemens ont changé le centre de gravité. Écoutez son langage : elle a ses organes, comptez les journaux étrangers à tout esprit de parti qui cherchent chaque matin à deviner ses secrets sentimens. Recueillez leurs avis : il est certain que l’opinion paisible est aujourd’hui fatiguée des luttes religieuses. Elle cherche les auteurs responsables de ces querelles aussi irritantes que stériles et semble leur demander grâce.

Tous les quatre ans, un million d’électeurs s’approchent pour la première fois des urnes. À bien des symptômes, il est permis de deviner que ces générations nouvelles apportent dans la vie publique moins de colères antireligieuses, qu’elles regardent, non sans quelque dédain, nos vieilles disputes. Consultez tous ceux qui sont en contact avec la jeunesse : nul n’hésitera à affirmer qu’il se fait un mouvement, que leurs pensées et leurs regards commencent à se tourner d’un tout autre côté.

Que conseilleraient ceux qui, en trois ans, de 1830 à 1833, ont rétabli l’ordre ? Quel langage tiendraient à leurs successeurs ces vrais conservateurs, ces vaillans libéraux, ces sages défenseurs de la société civile ?

Ils diraient aux évêques que les mandemens électoraux sont une atteinte au concordat, qu’ils doivent, pour être respectés de tous les partis, ne pas descendre dans l’arène des partis, qu’ils ne doivent souffrir dans les églises aucun débat contradictoire, aucun appel imprudent à la foule, que de tout temps la parabole du mauvais riche y a été commentée, qu’auprès des devoirs envers les pauvres, obligations vieilles de dix-huit siècles, prendront place dans l’enseignement de l’Évangile, les devoirs envers les ouvriers,