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des cas très graves et sous la responsabilité du ministre que cette mesure engagerait directement. »

Ce n’était pas seulement l’opinion du ministre des cultes. Le président du conseil n’était pas moins formel : « Je crois, ainsi que vous, écrivait M. Casimir-Périer à son collègue, que les moyens exceptionnels de coercition, tels que la retenue des traitemens, manqueraient de fondement légal. Il est vrai que certains préfets ont pris sur eux de suspendre le paiement des traitemens… J’ai refusé mon aveu à de pareilles dispositions. Elles ne sauraient donc établir comme résultat d’un principe arrêté ce qui n’était, en effet, qu’une exception motivée seulement par des considérations impérieuses et isolées. Je n’hésite donc pas à reconnaître qu’en droit, l’emploi d’un semblable moyen serait inadmissible[1]. »

L’été et l’automne de 1831 ne virent pas l’apaisement des haines : le nombre des réfractaires s’augmenta dans l’ouest ; ils se cachaient dans les bois, évitaient les gendarmes, profitaient de la complicité des autorités municipales qu’ils frappaient de terreur. Les curés leur donnaient asile : à la suite de rencontres meurtrières, il était arrivé que le réfractaire tué avait reçu des honneurs funèbres, tandis que les cadavres des soldats étaient à peine reçus à l’église.

Préfets, sous-préfets, chefs de parquet, généraux, tous les fonctionnaires étaient d’accord. Il fallait prendre de grands partis, user d’énergie et recourir aux mesures d’exception. Les préfets imploraient M. Casimir-Périer, les chefs de parquet suppliaient le garde des sceaux Barthe, les généraux envoyés dans l’ouest le maréchal Soult, toutes les demandes de suspension de traitement étaient adressées à M. de Montalivet par ses collègues, et le conseil des ministres, incessamment saisi de ces incidens, maintenait sa politique de patience imperturbable. Au général Bonnet, qui lui demandait de suspendre les traitemens, le ministre des cultes répondait le 14 septembre 1831 : « A l’égard du traitement attaché aux fonctions remplies, le ministre des cultes n’a pas légalement le pouvoir de supprimer ou de retenir ce traitement[2]. »

Six mois plus tard, au cours de la discussion du budget, le ministre de l’instruction publique et des cultes fut amené à la tribune. Un débat s’était élevé sur le droit qu’aurait le gouvernement de ne pas pourvoir aux vacances épiscopales des sièges relevés par le concordat de Louis XVIII : les orateurs avaient disserté sur la distinction du spirituel et du temporel : mis en verve M. Dupin, qui était tout imprégné du gallicanisme des parlemens,

  1. Dépêches des 17 mai et 2 juin 1831. Tous les documens que nous citons ont été empruntés aux Archives nationales, aux Archives des cultes et au Dépôt de la guerre.
  2. Lettre du comte de Montalivet, ministre des cultes, au général Bonnet, 14 septembre 1831.