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contre l’archevêque d’Aix pour une lettre pastorale, et le lendemain le traitement de ce prélat était suspendu.

Cette mesure, appliquée à des évêques, est sans précédens. Elle a été reçue avec acclamation par les radicaux. Huit évêques français frappés d’une peine arbitraire par le caprice du ministre des cultes prenant ses décisions de sa pleine puissance, puisant dans sa qualité de grand juge politique le droit d’infliger des amendes illimitées sans qu’il ait à en rendre compte à personne, n’est-ce pas ce que la théorie jacobine peut souhaiter de plus conforme à son principe ?

L’illégalité d’un acte ne se mesure pas à la hauteur des victimes. Il importe peu, quand le droit est violé, qu’un simple desservant ou un évêque soit atteint ; mais il y a des éclats qui ne peuvent passer inaperçus. Les suspensions de traitement étaient accomplies en silence depuis quelques années ; frappant huit prélats avec bruit, presqu’à la fois, elles constituent un acte qui marque toute une politique. Ne fût-ce qu’à ce titre, ce procédé de gouvernement mériterait d’être étudié devant le droit et devant l’histoire.


IV

Il n’y a pas à remonter à l’origine du traitement ecclésiastique, ni à nous lancer à cette occasion dans la controverse historique sur le caractère de la dette de l’État. Le fait certain, tranché par les textes, jugé par le Conseil d’État, est que le traitement fondé sur le concordat, reconnu par la loi du 18 germinal an x, constitue une obligation légale de l’État, un droit pour les ecclésiastiques. Tant qu’ils remplissent leurs fonctions, ils ont le droit d’être payés. A plusieurs reprises, la juridiction contentieuse a condamné l’Etat à payer à des magistrats, à des prêtres, tout ou partie de leur traitement[1]. Ces décisions prouvent que le ministre ne peut, en vertu du droit commun, retenir une part quelconque du salaire dû à ceux qui remplissent un service public.

Se rencontre-t-il, dans l’arsenal des lois réglant les relations avec l’Église, quelque disposition dérogeant au droit commun ? Dans le droit intermédiaire, si fertile en mesures contre les prêtres insermentés, pas un texte n’a été découvert. Sous Napoléon, ni les articles organiques, ni les lois qui les suivirent, ne contiennent une allusion à une retenue. Lorsque la guerre fut déclarée entre le pape et l’empereur, Napoléon rencontra sur son chemin des prêtres, des évêques ; il les fit d’abord poursuivre par ses procureurs-généraux, condamner par les cours, puis son impatience s’accommodant mal

  1. Conseil d’État, 7 mai 1852, 4 avril 1861, 4 mai 1861, etc.