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retrouve sa cohésion. Quelle que soit l’origine de chaque député, ses anciennes et secrètes préférences, ses regrets d’hier, ses hésitations et ses vues de demain, c’est pour lui aussi le cri de guerre, le drapeau qui se déploie, le clairon qui résonne.

Comme homme, comme citoyen, nul doute que le député de droite appréhende le mal causé à son pays par les luttes religieuses. Mais est-il téméraire de penser qu’au milieu des impuissances de son mandat, des troubles de sa conscience, des reproches de ses amis, il se sente comme délivré d’un poids, lorsqu’il voit éclater une de ces discussions dans lesquelles le devoir lui apparaît simple et la protestation sans équivoque ?

Pour des causes très diverses, les deux extrémités de la chambre, impatientes d’en venir aux mains, voient donc avec satisfaction, au point de vue de leurs intérêts électoraux, une suite de débats violens sur les rapports de l’Église et de l’État.


II

Si les politiciens qui vivent de la lutte contre le clergé étaient seuls à agir, le mat ne serait pas grand. Un scrutin les a amenés au Palais-Bourbon ; un scrutin les rejetterait dans le néant en les remportant dans leurs provinces. Malheureusement, ils émanent d’une passion et ils l’exploitent à leur profit.

Cette passion est-elle profonde ? est-elle durable ? est-elle en progrès ou son déclin est-il proche ?

Pour apprécier les forces d’une faction, il est bon d’interroger ses adversaires. L’esprit de parti, avec ses exagérations habituelles, a le mérite de faire ressortir les traits et de mettre en relief les saillies.

Le député radical, à entendre l’électeur qui l’a combattu, est le produit d’une conspiration ourdie par un parti puissant, préparée de longue main avec une discipline infernale. Poussez votre enquête : on croira avoir tout dit en assurant que la France est aux mains de la franc-maçonnerie.

Les contemporains jugent rarement les partis à leur véritable mesure. Il est réservé à la postérité de montrer que les exagérations ont été prodigieuses.

Sous la Restauration, les libéraux voyaient partout l’action de la congrégation. Aujourd’hui, il n’y a plus de mystère : nous n’ignorons pas qu’elle était à peine une poignée d’hommes, qu’elle n’avait ni les ramifications, ni la discipline, ni l’organisation savante que l’imagination se plaisait à grossir ; mais, en même temps, nous savons que le sentiment des ministres répondait exactement à l’esprit qui animait le petit groupe. La congrégation