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multiplier autour de lui les difficultés, à montrer en lui une épave oubliée de l’ancien régime. On raconte qu’un ministre anticlérical auquel avaient été confiés par dérision les cultes, répondait à quelqu’un qui lui reprochait de ne pas songer à l’opinion publique : « Qu’appelez-vous l’opinion publique ? Je connais à fond la France. Ne savez-vous pas que, dans toute commune, existe un certain nombre d’hommes qui ne mettent pas les pieds à l’église, qui guettent les fautes que peut commettre le curé pour les dénoncer, qui exercent sur lui leur vigilance ? C’est pour eux que je gouverne ! »

Cette réponse est d’une vérité cynique, elle comprend toute la théorie jacobine, c’est-à-dire toutes les forces du gouvernement exploitées au profit des passions d’une minorité. Le parti radical en France est, avant tout, le parti anticlérical.

Voyez la chambre des députés depuis douze ans. Les partis y ont eu des proportions diverses, mais le parti radical n’a conçu de dessein arrêté que sur un seul point. Malgré la multitude des propositions émanées de l’initiative des députés, la gauche avancée est remarquablement pauvre en idées : très peu d’études, une très faible connaissance des questions, l’esprit à l’affût des incidens propres à passionner les foules, une recherche, non des besoins permanens du pays, mais des moyens de conquérir à tout prix la popularité, une agitation perpétuelle, tel est, à peu d’exceptions près, le député de la gauche avancée. Jaloux de son voisin, n’aimant aucune discipline, il n’est ressaisi par une passion collective que si une proposition, un discours, un mot évoque devant lui l’ombre du clergé. La guerre religieuse est son idée fixe : c’est pour lui une vocation, une carrière ; elle recouvre son absence de conception politique. La passion le dispense d’étude[1].

A l’extrémité opposée de la chambre, siège un parti dont toutes les aspirations sont contraires. Très attaché au passé de la France, effrayé de tout changement, il est composé d’élémens divers unis par une même pensée : la société est en danger ; le clergé est menacé : il faut les sauver. Sincères dans leurs alarmes pour ces deux grandes causes, divisés sur les moyens d’action, gênés par leur origine, sans chefs reconnus, ils sentent qu’ils ne répondent pas à l’attente du pays, ils cherchent ce qu’ils peuvent faire, ils éprouvent une sorte de malaise.

Les attaques contre le clergé rendent la droite à elle-même. Elle

  1. On n’entend pas appliquer la dénomination de radicaux à tous les membres de la gauche. Nul n’ignore que les radicaux sont une minorité, il est facile de le constater en relevant leur nombre dans les votes ; mais il est malaisé de trouver quelqu’un qui puisse dire à quelle travée du centre expire leur influence. Or tout ce que nous disons s’applique à leur influence désastreuse.