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sur d’autres, en revanche, qu’il se contente de ranger parmi les précieuses « galantes » (le mot disait alors beaucoup moins qu’aujourd’hui), ses contemporains sont beaucoup plus explicites ; ils nous apprennent que plusieurs, dont la vertu est vantée dans le Grand Dictionnaire, fournissaient, elles aussi, leur contingent à la chronique scandaleuse.

Telle est, d’après Somaize, la société précieuse envisagée sous ses aspects les plus généraux. On ne s’étonne plus que, dès son arrivée à Paris, l’auteur des Précieuses ridicules ait vu en elle la plus ample matière à mettre en comédie. Outre qu’elle était fort plaisante, ses raffinemens, son goût mesquin, ses prétentions, ses faux-semblans répugnaient profondément au génie franc, simple et droit de Molière ; il y avait entre elle et lui antipathie de nature. Il l’attaqua dès le premier jour, et le coup fut terrible.


V

A partir du Grand Dictionnaire, nous perdons la trace de Somaize. La préface nous apprend que l’auteur n’était plus à Paris lorsque le livre fut imprimé, car il avait suivi en Italie la connétable Colonna. Resta-t-il à Rome avec elle ? revint-il en France à sa suite lorsqu’elle quitta le connétable ? mourut-il au-delà des monts ? Autant de questions qui restent sans réponse. Ce qui est certain, c’est que, depuis lors, il ne parut plus rien sous son nom ; les nouvelles comédies de Molière, qui se succèdent rapidement à partir de 1660, ne lui font pas rompre le silence ; sa carrière littéraire est terminée.

Il n’y a, certes, pas lieu de regretter cette disparition. Comme écrivain, Somaize avait donné toute sa mesure et, en continuant, il n’aurait pu que se ressembler à lui-même, c’est-à-dire multiplier les épreuves d’un mauvais original. Inconscient dans le cynisme, type de sottise et de fatuité, mélange de Mascarille et de Trissotin, il unissait la bassesse d’âme et la nullité du talent à un tel degré que, même au XVIIIe siècle, si fécond en gredins de lettres, on aurait peine à trouver son pareil. Pour s’édifier complètement à ce sujet, il faut lire en entier ses préfaces et le portrait qu’il se consacre à lui-même sous le nom de Susarion ; malgré la pauvreté littéraire de ces morceaux, on ne regrettera pas de les parcourir ; ce sont des documens curieux.

Comme historien de la société précieuse, il nous rend de réels services ; on ne saurait écrire sur elle sans le consulter. Mais, de ce chef, il n’a plus rien à nous apprendre, au moment où il