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avec elles en aussi parfaite conformité d’humeur que M. de Lescalle. Il y avait beaucoup de ménages troublés dans le monde précieux. M. Perrin supporte impatiemment les goûts trop relevés de sa femme : « Cette belle s’est vue maltraitée de son mari, qui, jaloux de voir le grand nombre d’amans que son esprit et sa beauté lui attiroient, l’a plusieurs fois enfermée, et même tenté quelque chose de plus violent contre elle. » Souvent, la mésintelligence va plus loin ; Mme de Pommereuil est, « comme beaucoup d’autres, séparée de son mari ; » de même Mme de Moncontour : « La grandeur de son âme passe jusque sur son visage, qui conserve parmi les charmes naturels aux femmes quelque chose de mâle ; aussi s’est-elle généreusement désunie d’avec son époux, trouvant quelque honte à ne pas commander. Ses passions sont pour les galanteries nouvelles, et surtout pour le jeu, qui la domine. Mme de La Garde ayant eu à peu près la même destinée, elles ont aussi les mêmes attaches, sont toutes deux bonnes amies, et ont toutes deux épousé le jeu à la place de leurs maris. » Mme du Canet, d’Aix, a repris aussi sa liberté, mais simplement pour satisfaire sans entraves ses goûts littéraires : « Elle est séparée d’avec son époux, ce qui lui donne plus de facilité pour recevoir les beaux esprits chez elle. » Lorsque la différence d’humeur ne pousse pas les choses à l’extrême, on prend de singuliers accommodemens. Il y a eu longtemps « de la froideur » entre Mme de Saint-Ange et son mari, mais ils sont « parvenus à vivre dans une intelligence fort grande, puisqu’ils s’écrivent deux ou trois fois la semaine, ce qui ne peut partir que d’une union accompagnée d’une civilité et d’un esprit fort agréables. » Le goût du célibat, c’est-à-dire de l’indépendance, l’aversion pour la condition naturelle de la femme, c’est-à-dire la subordination au mari, sont très fréquens chez les précieuses ; aussi, pour elles comme pour Armande, « l’état de fille » est un idéal. Comme Mlle de Scudéry, et pour les mêmes raisons, Mlle de La Flotte « est dans le dessein de ne se marier jamais. » Lorsque l’on a abusé de leur jeunesse pour leur donner un mari, elles ne cachent pas leurs regrets : « L’humeur précieuse règne si fort chez Mme de Bernon, que, si on ne l’eût mariée à quatorze ans, elle n’auroit jamais pu se résoudre à recevoir un maître. » Par suite, elles prisent fort la liberté que donne le veuvage. Mlle Maçon « a été fort peu de temps mariée, et par là elle a eu de bonne heure cette liberté nécessaire à une précieuse de voir tous ceux qu’elles veulent. » L’indépendance suprême serait de n’avoir aucun lien de famille ; Mlle de Villebois et sa sœur « ont toutes les qualités nécessaires à une précieuse, car, premièrement, elles n’ont pas de mère. L’amitié elle-même ne doit pas