Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclarations expresses. Il dit, en tête des Véritables Précieuses : « Je n’ai pas prétendu par ce titre parler de ces personnes illustres qui sont trop au-dessus de la satire pour faire soupçonner que l’on ait dessein de les y insérer. » Molière avait fait lui aussi une déclaration du même genre, mais ce n’était de sa part qu’une précaution oratoire. Somaize, au contraire, est précieux d’esprit et de cœur, mauvais précieux, mais précieux authentique. Plein d’admiration pour les coryphées de la littérature précieuse, il les comble d’éloges, il les imite de son mieux. « Il n’y a pas plus d’injure, écrit-il, de dire d’une personne qu’elle parle précieux que si l’on disoit d’elle qu’elle parle Bélisandre (Balzac). » Il se propose de « détromper le peuple de l’opinion ridicule qu’il a conçue des précieuses. » Il dit d’une femme qui sort aisément d’un mauvais pas qu’elle agit « en véritable précieuse, c’est-à-dire en femme spirituelle. » Naturellement, il professe la haine des fausses précieuses : « Les mœurs de celles qui affectent de passer pour précieuses, dit-il encore, sont duplicité, grimace, fausse affectation de bonté. » Mais quoi de surprenant à cela ? L’esprit précieux étant, par essence, le désir de faire partie d’une élite, d’être distingué, comme on dira plus tard, en un mot un esprit de coterie, Mlle de Scudéry et ses amies trouvaient naturellement fort impertinentes les prétentions de celles qui voulaient, en les imitant, arriver à l’aristocratie intellectuelle. Ainsi pensent tous les cénacles. Si mauvais original que l’on puisse être, on se trouve volontiers inimitable, et l’on méprise dans autrui, comme la plus outrecuidante des prétentions, ce que l’on adore en soi-même comme un don de nature. Aussi les railleries de Somaize ne doivent-elles pas plus nous donner le change que celles de Mlle de Scudéry ; les unes et les autres procèdent du même sentiment. Il convient encore de faire la part d’une prétention particulière à Somaize : il affecte l’impartialité ; il se donne les airs d’un homme supérieur à son sujet ; de là ses ironies et ses éloges assaisonnés de critiques. Mais, somme toute, il dit des précieuses beaucoup plus de bien que de mal.


IV

Il n’est donc pas sans intérêt, l’exactitude de Somaize une fois établie, de grouper les principaux renseignemens qu’il nous fournit sur la société précieuse de son temps et de fixer d’après lui les traits essentiels de la physionomie qu’elle présentait en 1660, au moment où Molière l’attaquait si vivement.

L’illustre fondatrice de cette société, la marquise de Rambouillet,