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de la Pompe et littéralement mis au pilori. On a voulu voir dans cet opuscule une réponse collective des écrivains nommés par Somaize, une sorte d’exécution à laquelle tous auraient mis la main. Il n’est pas besoin, pour rejeter cette hypothèse, d’examiner longuement le Songe ; si le libelle auquel il répond est d’un méchant écrivain, lui-même est sorti de la plume d’un écrivain tout aussi mauvais ; vers et prose y sont d’une platitude au-dessous de laquelle Somaize lui-même n’est pas descendu. Non-seulement on ne peut admettre que des hommes tels que Corneille et Molière y aient collaboré, mais encore il est peu probable qu’il leur ait été communiqué avant l’impression : l’un et l’autre eussent décliné les bons offices d’un tel défenseur. Le Songe du rêveur est donc bien l’œuvre d’un seul homme, écrivant contre Somaize de son propre mouvement et seul responsable de ce qu’il a écrit. Ce que l’on voit aussi, dès les premières pages, c’est que l’auteur était un chaud partisan de Molière et, malgré son peu de talent, un homme de saines préférences littéraires. Entre tous les écrivains plus ou moins raillés dans la Pompe funèbre, il ne choisit pas mal ceux dont il prend la défense ; de plus, il trace de l’auteur des Précieuses ridicules un court, mais très intéressant portrait.

Ce Songe ne ment pas à son titre ; c’est le récit d’une vision, durant laquelle le dormeur est transporté au sommet du Parnasse. Il y trouve Apollon en proie à une violente colère : les Muses viennent de dénoncer au dieu les attaques de Somaize contre les plus illustres écrivains de Paris. Ceux-ci, pour se venger, ont lancé contre l’ennemi commun quarante épigrammes ; l’une des Muses les a recueillies et en donne lecture. Il suffira de citer deux de ces épigrammes ; voici d’abord celle qui est attribuée à Molière :


Ce digne auteur n’étoit pas ivre,
Quand il dit de moi dans son livre :
C’est un bouffon trop sérieux ;
Certe, il a raison de le dire,
Car, s’il se présente à mes yeux,
Je l’empêcherai bien de rire.


Quant à Corneille, il s’exprime ainsi :


Écrivain du Pont-Neuf, apprends que si mon front
Pouvoit rougir de quelque affront,
Ce seroit du désavantage
D’avoir été joué par un tel personnage.


Ni Corneille, même aux jours où son fameux lutin l’abandonnait tout à fait, ni Molière, lorsqu’il improvisait avec le plus de hâte,