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dédiant son dictionnaire, Somaize lui demandait humblement la permission de « s’écrier avec justice qu’il étoit le plus généreux, le plus galant, le plus civil, le plus vaillant, le plus adroit, le mieux fait, et, pour renfermer dans un mot toutes ces nobles qualités, le plus accompli des princes de la terre. » Il avait commencé par solliciter pour sa muse « naissante et chancelante » la protection du duc. Celui-ci, insouciant et prodigue, ne le traita sans doute ni mieux ni plus mal que bien d’autres écrivains ; il lui donna quelque argent et, dans l’occasion, un utile appui.


II

Ces belles relations n’évitèrent pas à Somaize une des plus vives et des plus humiliantes satires dont un homme de lettres ait jamais été l’objet.

Le 7 octobre 1660 mourait Scarron, qui laissait une large place à prendre dans la littérature, surtout au théâtre. Le mois suivant paraissait une petite brochure anonyme, la Pompe funèbre de M. Scarron, pour laquelle privilège avait été obtenu dès le 14 octobre. L’auteur était Somaize ; on ne s’y trompa point, comme nous allons le voir, et lui-même, dans une de ses préfaces, en revendique la paternité comme un titre d’honneur. Mais, au moment de la publication, il n’osa pas se nommer. Il ne se contentait plus, cette fois, de s’attaquer à un seul adversaire, comme Boisrobert ou Molière ; il s’en prenait à tous ceux de ses contemporains qui avaient un nom dans les lettres. Au demeurant, il restait fidèle à ses habitudes ; c’était encore la même impuissance à rien tirer de son propre fonds, le même besoin d’imiter, le même empressement à profiter d’une circonstance fortuite. La Pompe funèbre de Scarron, en effet, reprenait l’idée d’un ingénieux badinage de Sarrazin, la Pompe funèbre de Voiture, et en reproduisait exactement la donnée et le cadre. Néanmoins, elle est très supérieure aux autres ouvrages de Somaize ; malgré bien des bizarreries et des fautes de goût, la raillerie y est moins lourde et moins pénible, l’esprit moins rare, le style surtout moins obscur et moins embarrassé ; enfin, la critique des auteurs contemporains n’y manque parfois ni de justesse ni de finesse. Au total, cette supériorité est assez marquée pour que l’on se demande si ces quelques pages sont vraiment de Somaize ; s’il n’a été qu’un prête-nom ou s’il a eu un collaborateur. Mais à quoi bon lui en contester le mérite ? Admettons qu’en un jour de bonheur unique il s’est surpassé lui-même, et voyons ce que la Pompe funèbre de Scarron peut offrir d’intéressant.

Nous sommes dans la chambre du pauvre cul-de-jatte ; il est bien malade et, sentant sa fin prochaine, il veut mettre ordre à