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Tout porte à croire qu’il s’était attribué ce titre de sa propre autorité, à l’imitation d’un grand nombre de ses contemporains : son langage, ses sentimens, la manière d’être qu’ils indiquent n’ont rien de noble et supposent un homme de lettres assez gueux.

Baudeau, Somaize, ou Baudeau sieur de Somaize, de ces trois noms, quel que soit le vrai, celui qui les porte révèle donc son existence pour la première fois en 1657. Cette année-là, Boisrobert avait donné au théâtre une Théodore, reine de Hongrie. Peu de temps après paraissaient des « Remarques sur la Théodore, tragi-comédie de l’auteur de Cassandre, dédiées à M. de Boisrobert-Métel, abbé de Châtillon, par le sieur B. de Somaize, imprimées à Paris à ses dépens. » C’était le coup d’essai de notre homme. Dès le début, il nous apprend qu’avant de prendre la plume contre Boisrobert, il l’avait fortement attaqué en paroles et que Boisrobert en colère parlait de corriger son critique à coups de bâton. Ce procédé était alors très à la mode : le bâton jouait dans les mœurs littéraires un rôle presque aussi actif qu’au théâtre[1]. Les écrivains traités de la sorte en prenaient d’habitude leur parti, les uns dévorant l’injure en silence, les autres la tournant en plaisanterie. Somaize fait comme ces derniers : il se contente d’observer que la crosse et le bâton sont les armes naturelles d’un abbé. Et comme Boisrobert se vantait d’avoir à sa disposition tout le régiment des gardes, et « de le devoir mettre en campagne contre l’importun observateur, » celui-ci répond que « les abbés sont de pauvres lance-tonnerre, » et demande à son ennemi s’il se mettra lui-même à la tête du régiment, s’il agira par surprise ou s’il fera un siège en forme, etc. Il rappelle que Boisrobert lui-même a subi le traitement qu’il veut infliger à autrui, et que certain prince a mis en campagne pour le corriger, non pas un régiment ni même des pages, mais de simples palefreniers. Vient ensuite une longue dissertation à la Scudéry, minutieuse et pédante, diffuse et décousue, dans laquelle Horace et Aristote, Jules-César Scaliger et l’abbé d’Aubignac sont cités pour établir que Théodore pèche contre les lois essentielles du poème dramatique. Somaize s’efforce surtout de prouver, — et il y réussit, — que Boisrobert a effrontément pillé une pièce de Lacaze, représentée en 1639, l’Inceste supposé. Qu’advint-il de la querelle ? Somaize reçut-il ses coups de bâton, ou en fut-il quitte pour la menace ? S’il les reçut, ils ne firent pas grand bruit, car personne n’en a parlé.

Tel nous voyons Somaize dans ce premier ouvrage, tel nous le

  1. Voir l’amusant petit livre de M. Victor Fournel, Du rôle des coups de bâton dans les relations sociales et, en particulier, dans la littérature, 1858.