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avait donné le change ; on commence à reprendre la question pour y remettre un peu d’ordre. L’étude de Somaize peut être de quelque secours dans cette entreprise nécessaire[1].


I

En fait de renseignemens biographiques, nous n’avons sur le personnage que de courtes et vagues indications. Ni l’année de sa naissance, ni celle de sa mort ne nous sont connues ; sorti de l’obscurité en 1657, il y est complètement rentré en 1661 ; avant ou après, il n’est question de lui nulle part, et tout ce que nous pouvons savoir de sa carrière littéraire est compris entre ces deux dates. Dans un de ses livres, il se présente comme « un jeune homme. » Tenons-le pour tel et admettons qu’en 1657 il avait de vingt-cinq à trente ans. D’autre part, il ne reste aucun portrait qui nous donne une idée de sa personne physique ; à une époque de rare fécondité pour la gravure française, où Bordelon et Cotin, d’Aubignac et Cordemoy s’offraient en taille-douce à leurs contemporains, Somaize n’eut pas de portraitiste. Même obscurité sur le lieu de sa naissance, même ignorance de son origine. On croirait volontiers, à sa façon d’écrire, qu’il était Gascon, car, s’il n’a pas les qualités littéraires de la race, — entrain, verve colorée, finesse, — il en a tou3 les défauts, — contentement de soi-même, besoin d’étalage et de vantardise, manque de goût et de mesure. Mais il est bon de se tenir en garde contre ces suppositions d’origine par analogie avec le caractère : Cyrano de Bergerac était Parisien et Scudéry Normand. Son nom, Baudeau, sieur de Somaize, indique ou la noblesse ou des prétentions à la noblesse ; non par la particule, qui, à elle seule, n’a jamais eu de valeur nobiliaire, surtout au XVIIe siècle[2], mais par le titre qui en réunit les deux parties.

  1. On a beaucoup écrit sur la société précieuse et on formerait une petite bibliothèque avec les ouvrages qui lui sont consacrés. Les deux plus connus, toujours intéressans, mais pleins de vues paradoxales, surtout le second, sont les Mémoires pour servir d l’histoire de la société polie en France, par Rœderer, 1835, et la Société française au XVIIe siècle d’après le Grand Cyrus, par Victor Cousin, 1858. M. Ch. Livet s’est aussi beaucoup occupé de cette société depuis ses Précieux et Précieuses, 1859, jusqu’à ses Portraits du grand siècle, 1885, et a introduit dans la question, avec des renseignemens nouveaux, une théorie aussi contestable que celle de Cousin. Dans le travail cité plus haut et dans plusieurs passages de ses études sur le XVIIe siècle et le XVIIIe siècle, M. F. Brunetière a replacé la question sur son véritable terrain ; il n’y aurait qu’à développer ses vues pour écrire une histoire, qui nous manque, des salons en France et de leur influence sur la littérature. En attendant, M. l’abbé A. Fabre a donné une série de bonnes études partielles sur la société précieuse (1871-1891), groupées autour de Fléchier et de Chapelain.
  2. Voir Paulin Paris, De la particule dite nobiliaire. Paris, 1861.