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part, ils s’y sont mêlés en intrus, et voilà l’histoire obligée d’enregistrer leur présence et leur témoignage. Tel est le cas de Scudéry dans la querelle du Cid, tel est celui de Somaize dans l’histoire de la société précieuse au XVIIe siècle. Dès que viennent sous la plume les noms des modèles


Que, d’un coup de son art, Molière a diffamés,


celui de Somaize se présente en même temps ; il est de leur groupe ou de leur suite, on ne sait pas au juste à quel titre, mais enfin il en est, et on ne songe pas à lui demander pourquoi.

Le personnage mérite plus d’attention. Ce fut un vilain homme et un pauvre écrivain, mais d’une si complète bassesse à ces deux points de vue qu’il peut être regardé comme un type. Il incarne, pour son temps, cette bohème littéraire qui se retrouve toujours, avec les caractères permanens qu’elle tient d’elle-même et les traits passagers qu’elle doit à chaque époque. Ce ne serait peut-être pas un titre suffisant à l’intérêt, mais il nous a conservé nombre de traits curieux sur les mœurs littéraires d’autrefois et, surtout, il nous fournit un témoignage unique sur une période importante dans l’histoire de la société polie. L’intérêt de ce qu’il recueille est toujours dans les choses elles-mêmes, jamais dans la manière dont il les présente ; aucun écrivain n’a moins servi son sujet et n’a été mieux servi par lui ; mais il parle avec détail de quelques écrivains considérables, dont un illustre, Molière ; il s’est mêlé à un épisode curieux des mœurs littéraires au XVIIe siècle ; enfin, il s’est constitué le greffier de la société polie, et son procès-verbal est d’autant plus précieux qu’il est unique.

C’est à ces divers titres que je voudrais l’étudier lui-même, recueillir ce qu’il nous apprend sur la condition et les mœurs des écrivains au XVIIe siècle, et surtout apprécier, avec les élémens qu’il nous fournit, les élémens et le rôle de la société précieuse aux environs de 1659, au moment des Précieuses ridicules. Rien n’est encore moins exactement connu et divisé que l’histoire de cette société ; comme on l’a remarqué ici même[1], nous avions une idée assez juste, quoique sommaire, des divers cercles précieux, jusqu’à ce que Victor Cousin, pris de passion non-seulement pour leurs premiers sujets, mais encore pour leurs moindres représentans et même pour leurs comparses, enthousiaste de Mlle de Scudéry aussi bien que de Mme de Longueville, fût venu tout brouiller et confondre. Son éloquence impérieuse

  1. Voir, dans la Revue du 15 avril 1882, la Société précieuse au XVIIe siècle, par M. F. Brunetière.