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philosophie doctrinaire de M. Guizot. La postérité sera peut-être moins indulgente que ne le furent les contemporains pour l’ouvrier de démolitions, uniquement mû par l’ambition personnelle, quand il minait et renversait trois monarchies, quand il empêchait une quatrième de s’établir ; il n’a rien fondé, car une étude attentive des faits ne permet pas de lui attribuer la paternité de la troisième république ; ses expédiens, parfois utiles, n’ont laissé aucune trace pour l’avenir. Je n’oublie pas que son intelligence lucide et active a facilité une opération financière, aux jours où notre pays se libérait des charges de la défaite ; mais à si haut prix que l’on mette ses services occasionnels, il est probable que l’opinion de M. Thureau-Dangin devance le verdict définitif de l’histoire. Ceci concédé, il faut bien avouer que le flair gouvernemental de M. Thiers avait raison contre l’obstination de M. Guizot, lorsqu’il devinait en 18&7 le malaise d’un pays trop comprimé dans ses besoins d’imagination et de sentiment. Le madré praticien voulait leurrer le malade par quelque tour de son métier ; vue courte, mais préférable encore à l’aveuglement du grand docteur, qui se refusait à constater la maladie.

L’historien est heureux quand il peut quitter le spectacle des misères intérieures pour suivre nos affaires au dehors : d’abord parce qu’il les débrouille et les résume à merveille ; ensuite, parce qu’il y trouve quelque sujet de consolation. Le cabinet conservateur ne croyait pas que la France fût assez forte pour s’abandonner au beau rêve de 1840, l’établissement de notre suprématie sur tout le bassin de la Méditerranée ; du moins son action était-elle raisonnable et sage, en Suisse, en Italie, en Espagne. Les mariages espagnols furent le premier succès d’une politique étrangère si longtemps déprimée. Je regrette de ne pas rencontrer, dans le récit de M. Thureau-Dangin, quelque souvenir de la noble attitude du parti légitimiste, quelques échos du discours de Berryer, oubliant son rôle d’opposant pour applaudir à la reprise des traditions de la maison de France. Plus heureux encore est l’écrivain, lorsqu’il passe la mer et nous mène dans ces camps d’Algérie, qui projettent seuls sur l’histoire d’alors un rayon de gloire et de poésie. Par une triste ironie du sort, les triomphes décisifs en Afrique ont sonné le glas de l’agonie pour nos gouvernemens successifs : le débarquement de Bourmont et la prise d’Alger en 1830, la capture d’Abd-el-Kader à la veille de 1848. — On voudrait s’attarder sous la tente avec le vieux Bugeaud, avec son jeune successeur, le royal officier qui contraignait les moustaches grises à s’incliner devant ses talens militaires, et qui allait voir tomber son épée au moment où tout lui criait le Tu Marcellus eris. Mais ces beaux épisodes ne sont que des intermèdes ; le narrateur est