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l’école des mathématiciens, et qu’il veut simplement conserver et développer ses dons naturels.

Quelle est l’influence de l’hérédité sur la genèse des calculateurs prodiges ? Question délicate qu’on n’a pas encore élucidée. Depuis longtemps les médecins, quand ils rencontrent dans une personne une réunion d’aptitudes anormales, se manifestant de bonne heure, sont habitués à trouver dans la famille de cette personne un certain nombre de caractères particuliers. Tantôt l’aptitude exceptionnelle est héréditaire dans une famille et se transmet régulièrement, pendant une série de générations, aux rameaux partis d’une même souche ; c’est ainsi que se sont formées, par l’action de ce qu’on appelle l’hérédité similaire, les belles familles de musiciens et de naturalistes. D’autres fois, on ne découvre dans la famille du prodige aucun ascendant présentant les mêmes qualités que lui ; mais cette famille, qui a été le berceau d’un individu anomal, porte un certain nombre de tares névropathiques ou autres qui la signalent à l’attention.

Dans l’observation de M. Inaudi, rien de semblable. Les recherches patientes de différens observateurs n’ont pu découvrir aucune des circonstances que nous venons de signaler.

Pour l’hérédité, rien ; à peine quelques bizarreries de caractère chez un ascendant paternel ; aucun parent connu ne présente d’aptitude au calcul ; les frères de Jacques Inaudi s’y sont essayés, mais sans réussir. Comme antécédens particuliers au sujet, rien encore ; il n’a jamais été malade, son développement a été normal et régulier. Enfin, l’examen anthropométrique a révélé bien peu de chose. La commission académique a reconnu le résultat quelque peu négatif de son enquête, et nous n’insisterons pas.

En résumé, l’étude de M. Inaudi a surtout été fructueuse pour la psychologie : d’une part, elle a apporté une confirmation remarquable à la théorie des mémoires partielles ; d’autre part, elle nous a familiarisés avec une forme nouvelle du calcul mental, la forme auditive. Peut-être aussi cette même étude nous a-t-elle appris quelque chose de plus ; nous venons de constater la possibilité pour certaines facultés, telle que la mémoire, d’acquérir une étendue double et triple de l’étendue normale ; ce fait important nous laisse entrevoir dans quelle large mesure l’esprit humain est encore perfectible.


Alfred Binet.