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pour ce qui concerne le langage, le type auditif a les plus étroites connexions avec le type moteur ; les deux choses doivent être le plus souvent combinées.

C’est probablement ce qui se réalise chez M. Inaudi. Nous avons vu que, pendant qu’il travaille, ses lèvres ne sont pas complètement closes ; elles s’agitent un peu, et il en sort un murmure indistinct, dans lequel on saisit cependant, de temps à autre, quelques noms de chiffres ; ce chuchotement devient quelquefois assez intense pour être entendu à plusieurs mètres. J’ai pu m’assurer, en prenant la courbe respiratoire du sujet, qu’elle porte la marque bien nette de ce phénomène, alors même qu’on ne l’entend pas ; ses organes phonateurs sont donc réellement en activité, pendant qu’il calcule de tête. M. Charcot, désirant se rendre compte de l’importance de ces mouvemens, a cherché à voir ce qui se produirait si on les empêchait de s’exécuter, et il a prié M. Inaudi de faire un calcul en tenant la bouche ouverte ; mais cet artifice n’empêche pas complètement les mouvemens d’articulation, qui continuent à se manifester, et que le sujet perçoit nettement. Un autre moyen m’a paru préférable pour empêcher M. Inaudi d’articuler des sons à voix basse ; je l’ai prié de chanter une voyelle pendant son calcul mental ; si le son de la voyelle conserve la pureté de son timbre, il est à peu près certain que le sujet n’articule point de chiffres ; cette expérience cause un grand embarras à M. Inaudi ; il conserve encore la faculté de calculer de tête, mais il met quatre ou cinq fois plus de temps que dans les conditions normales, et il n’y parvient même que parce qu’il triche un peu, c’est-à-dire qu’il fait à voix basse quelques articulations de chiffres, dont on reconnaît tout de suite la production lorsqu’on écoute, d’une oreille attentive, le son de la voyelle chantée.

Ces expériences nous montrent que l’articulation fait partie intégrante du calcul mental chez M. Inaudi, si bien que tout artifice d’expérimentation qui entrave le mouvement d’articulation rend le calcul plus long ou en altère l’exactitude. En d’autres termes, M. Inaudi emploie concurremment des images auditives et des images motrices d’articulation. Lequel de ces deux élémens prédomine ? Est-ce l’élément sensoriel, ou l’élément moteur ? Il serait fort difficile de le dire ; nous ne connaissons aucun moyen expérimental permettant de les analyser, et de faire la part de chacun d’eux. Disons seulement que M. Inaudi pense que c’est le son qui le guide, et que le mouvement d’articulation n’intervient que pour renforcer l’image auditive.

Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut bien retenir des études actuelles, c’est le danger des généralisations hâtives. Tous les calculateurs