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Cette expérience, que j’ai vu faire à la Salpêtrière, donne des résultats vraiment incroyables.

On avait proposé à M. Inaudi, pendant le courant de l’après-midi, un grand nombre de problèmes, dont toutes les données avaient été conservées par écrit, ce qui permit de vérifier l’exactitude de la répétition. Le nombre total que M. Inaudi a répété ce jour-là était de deux cent quarante-deux. On rapporte qu’à une séance donnée à la Sorbonne, il en a répété quatre cents.

À propos de ces nombres fantastiques, je dois faire une remarque qui présente quelque intérêt pour la psychologie. Il ne faut pas prendre ces nombres comme une mesure de la mémoire des chiffres, parce que M. Inaudi ne les a pas appris les uns à la suite des autres, sans interruption ; ces chiffres provenaient d’expériences distinctes, où le calculateur n’avait confié chaque fois à sa mémoire que des séries de vingt-quatre chiffres. Il y a donc eu des intervalles de repos, si courts qu’on les suppose, et ces repos ont peut-être facilité l’assimilation de la masse totale, vraiment énorme.

Pour bien faire comprendre ma pensée, j’aurai recours à une image empruntée à la comparaison classique du cerveau avec le muscle. Quand on cherche à connaître la force de contraction musculaire d’une personne, on lui fait serrer avec autant de force que possible un instrument approprié, et on la prie de soutenir son effort de contraction jusqu’à ce qu’elle soit vaincue par la fatigue ; la durée de l’effort ne possède une signification que si la contraction a été continue ; le moindre intervalle de repos permettrait de faire une contraction beaucoup plus longue. On peut supposer, à bon droit, qu’il en est de même pour l’effort qui consiste à se rappeler des nombres ; il doit être relativement plus facile de retenir quatre cents chiffres quand on les apprend par séries de vingt-quatre, avec des intervalles de repos, que si on était obligé de les apprendre d’une manière continue, les uns à la suite des autres.

M. Inaudi a bien voulu se prêter à une expérience directe qui a pleinement confirmé mon idée a priori. En général, nous dit-il, il ne cherche à retenir qu’un groupe de vingt-quatre chiffres ; un jour, on lui en a proposé vingt-sept ; c’est le nombre maximum qu’il ait essayé. J’ai donc offert de lui en réciter trente-six, et il a pu, en employant ses procédés ordinaires, les répéter tous exactement. Cette expérience l’avait un peu fatigué. Après quelque repos, je lui ai lu cinquante-deux chiffres : au milieu de l’opération, quand nous avions atteint le 26e chiffre, moi les énonçant, lui les répétant, il s’arrêta ; il était troublé, et exprima la crainte de tout oublier ; il répéta donc rapidement de mémoire les chiffres qu’on venait de prononcer, puis il me pria de continuer. J’allai