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naire l’observation de Mozart notant de souvenir le Miserere de la chapelle Sixtine après l’avoir entendu deux fois.

Dans ces dernières années, l’étude des maladies du langage a renouvelé cette question. Nous avons déjà eu l’occasion de parler de l’aphasie dans cette Revue, nous n’y reviendrons pas. Rappelons seulement que chez certains malades, une seule mémoire du langage, très limitée et très spéciale, est abolie, les autres mémoires restant intactes ; il y a des malades qui, sans être paralysés, ne peuvent plus écrire, mais continuent à parler ; d’autres perdent la faculté de lire, tout en conservant celle d’écrire, de sorte qu’ils sont incapables de relire la lettre qu’ils viennent de tracer. M. Ribot et M. Charcot ont été les premiers à montrer tout l’intérêt psychologique de ces curieuses dissections mentales que la maladie arrive parfois à opérer.

L’étude des calculateurs prodiges nous présente la même question sous un autre aspect ; chez eux, aucune mémoire n’est détruite ; mais une des mémoires, celle des chiffres, acquiert une extension anormale, qui excite l’étonnement et l’admiration, tandis que les autres mémoires, considérées dans leur ensemble, ne présentent rien de particulier ; elles restent parfois même au-dessous de la mesure commune.

Du reste, les sujets de ce genre sont de véritables spécialistes, qui, pendant tout le cours de leur existence, ne s’intéressent qu’à une seule chose, aux nombres. On peut citer à ce propos une anecdote qui est bien caractéristique. Buxton, calculateur célèbre, est conduit à une représentation de Garrick. À la fin du spectacle, on lui demanda ce qu’il pensait de la pièce ; il répondit que tel acteur était entré et sorti tel nombre de fois, et avait prononcé tel nombre de mots, et ainsi de suite. C’était le seul souvenir qu’il avait conservé du spectacle.

La commission académique a cherché à prendre une mesure approximative des différentes espèces de mémoire chez M. Inaudi. Elle s’est convaincue que le jeune calculateur n’a point une mémoire développée des figures, des événemens, des lieux, des airs de musique. J’ai pu mesurer, au moyen de procédés spéciaux, sa mémoire des nuances de couleur ; elle est extrêmement faible. C’est pour les nombres seulement qu’il donne des résultats surprenans.

Cette inégalité de développement des mémoires prend un caractère saisissant lorsqu’on compare chez lui deux choses presque identiques, la mémoire des chiffres et la mémoire des lettres. On fait l’expérience en prononçant devant lui une série de lettres, qu’on le prie de répéter exactement, et on recommence ensuite la même