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réaliser, non pas la totalité, mais seulement une partie notable de ce portefeuille en un temps de crise. Vos 3,600 millions en rente, a dit excellemment le président du Crédit lyonnais, M. Germain, seraient une splendide richesse si les titres qui les figurent étaient entre les mains du public ; entre vos mains ils ne sont plus qu’une fiction, puisque jamais vous ne les pourriez réaliser ; votre gage est du papier noirci.

Du papier noirci, il faut bien le reconnaître, car la vérité est là et n’est que là, voilà tout ce que représente, non-seulement cette magnifique plus-value de 675 millions dont on se targue si volontiers, mais le portefeuille lui-même, s’il fallait le transformer en espèces. La plus-value est illusoire, puisqu’elle disparaîtrait à la moindre tentative pour la rendre tangible ; c’est une ombre fugitive. Au premier jour où la Caisse des dépôts voudrait lui donner une réalité par la vente de quelques millions de rentes, on verrait s’écrouler tout l’échafaudage. La plus-value disparue, effondrée par une baisse rapide des cours, le portefeuille lui-même serait invendable ; il faudrait le mettre en pension à la Banque de France, puis opposer aux déposans la fameuse « clause de sauvegarde » qui signifie que l’État s’engage à rembourser aussi longtemps qu’on ne lui demande pas de remboursement, tout en se réservant de ne plus rembourser dès que les circonstances inciteraient les déposans à réclamer leur argent.

C’est pourquoi nous disons que la préface nécessaire de toute réforme visant une nouvelle organisation des caisses d’épargne est l’adoption de mesures propres à dégager la responsabilité de l’État, à le délivrer du risque, si invraisemblable, si chimérique qu’en paraisse l’éventualité, d’une demande de remboursement de 3 milliards. Les mesures vraiment urgentes sont : la liquidation du portefeuille existant ; la création d’obstacles suffisans contre la formation d’un nouveau portefeuille qui entraînerait, en les aggravant, les mêmes périls que ceux dont la Caisse est menacée par le portefeuille actuel.

Le rapport de M. Aynard pose la question en ces termes :


La répartition du portefeuille entre les déposans est peut-être le moyen extrême auquel on sera obligé de recourir dans quelque formidable crise. Comme il est arrivé en 1848, l’État, ne pouvant rembourser, paiera en rentes avec une soulte à sa charge au moment où le crédit public sera le plus altéré. Combien ne serait-il pas plus sage de commencer au moins une semblable opération alors que le crédit de l’État, porté à son plus haut point, permet de faire aux déposans une attribution non de rentes dépréciées ou à perte, mais de rentes