Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’épargne ordinaires à la Caisse des dépôts, c’est-à-dire la dette de ces caisses à leurs déposans.

Il faut ici bien comprendre où est le danger de cette colossale immobilisation de capitaux en rentes. Lorsqu’un particulier achète du 3 pour 100 français perpétuel, il acquiert, non pas une promesse du gouvernement de rembourser un jour 100 francs par 3 francs de rente, mais seulement de servir régulièrement au porteur de ce titre un intérêt annuel de 3 francs par 100 francs de capital nominal. Vienne une crise, la rente baisse, mais aucun danger ne menace l’Etat de ce chef, puisqu’il n’a rien à rembourser et qu’il suffit qu’il paie l’intérêt stipulé aux échéances convenues.

Il n’en va plus de même lorsque la Caisse des dépôts achète de la rente avec les fonds des caisses d’épargne. Le capital, ainsi employé, ne cesse pas, comme dans le cas précédent, d’être exigible, car c’est la Caisse qui achète, et pour son propre compte, et non le déposant. Vienne une crise, le déposant réclamera tout ou partie de son dépôt, et la somme qu’il réclame devra lui être payée en espèces et à vue. Pour opérer ce remboursement, la caisse d’épargne, à laquelle il a confié son dépôt, se tournera vers la caisse des dépôts qui devra fournir les fonds et pour cela, peut-être, vendre des rentes. Si la rente a fortement baissé, la Caisse des dépôts perdra sur sa vente, et comme cet établissement ne peut pas perdre, étant une émanation de l’État, c’est l’État qui aura à parfaire la différence. Supposez la crise très violente, les demandes de remboursement considérables, les ventes de rentes précipitées et énormes, et, par conséquent, une chute véritable du crédit public ; la Caisse des dépôts, c’est-à-dire l’État, devrait cesser les remboursemens, tandis que, si les rentes acquises par la Caisse étaient restées la propriété du public, la baisse des rentes n’affecterait pas la situation du Trésor, obligé de faire face exclusivement au service de l’intérêt.

Il ressort de là que l’État fait une déplorable affaire toutes les fois qu’un montant de rentes passe des mains du public en celles de la Caisse des dépôts, car, jusqu’à concurrence de ce montant, il a transformé une dette perpétuelle en une dette à vue, ou, s’il s’agit d’achats de rente amortissable, une dette remboursable à long terme en une autre payable à présentation.

Les 3 milliards que la Caisse a placés en rente, l’État les doit aujourd’hui intégralement et remboursables sans délai (en théorie au moins), tandis que si la Caisse n’avait pas acquis ces rentes, l’État ne devrait que l’intérêt des 3 milliards.

Je veux bien que le péril qui vient d’être signalé soit plus