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de disposer des dépôts populaires, à un système de gestion générale des affaires de la nation, qui devait incliner du côté de la prodigalité plutôt que de celui d’une stricte économie. Cet inconvénient ne frappait pas suffisamment la masse des contribuables, pour qui les comptes de la dette flottante restaient un mystérieux et indéchiffrable grimoire. Il frappait moins encore, la population appelée à profiter le plus directement des avantages de l’institution des caisses d’épargne, car le gouvernement était incité à grossir de plus en plus ces avantages en vue d’accélérer la vitesse, d’accroître l’intensité du courant qui portait vers le Trésor les innombrables ruisseaux de la petite épargne.

Aussi a-t-on vu, à certaines époques, le gouvernement solliciter et obtenir de la législature le vote de mesures propres à favoriser l’accumulation des dépôts. Lorsque l’on représente aux chambres la nécessité de voler des « lois de progrès social, » de créer ou de perfectionner des « institutions se proposant d’amener un état meilleur des classes laborieuses, » comment voulez-vous que des chambres résistent ? On a donc fondé, en 1881, à côté des caisses d’épargne ordinaires ou privées, la Caisse nationale d’épargne ou caisse d’épargne postale, création du socialisme d’État, nouvelle pompe aspirante destinée à élever les petits capitaux jusqu’à la hauteur du grand réservoir public. Et comme on craignait que ce ne fût pas encore assez, on a décidé, il y a onze ans, de relever de 1,000 à 2,000 francs le chiffre maximum du dépôt pour chaque déposant, et on a supprimé la limitation à 300 francs par semaine du montant des versemens individuels. Il a été allégué, assurément, à l’appui de ces innovations, d’excellentes raisons. Il fallait préserver l’épargne populaire des tentations malsaines et des placemens aventureux. D’autre part, avec la fixation à 1,000 francs du maximum des livrets, les caisses d’épargne, dont les opérations se multipliaient sans cesse, avaient beaucoup de peine à couvrir leurs frais généraux ; les dépôts les plus importans laissent seuls subsister le bénéfice normal résultant de l’écart entre le taux d’intérêt que donne aux caisses l’emploi des dépôts et celui qu’elles ont elles-mêmes à servir à leurs déposans.

Rien à objecter à ces argumens, sinon que jadis les caisses d’épargne se tiraient cependant d’affaire, et que le résultat a été d’augmenter toujours l’importance totale des dépôts.

Il est arrivé un jour que la Caisse des dépôts et consignations, où sont réunis les fonds des caisses d’épargne et qui les remettait alors, pour la presque totalité, en compte courant au Trésor, avait à son compte courant une somme de plus d’un milliard de francs