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produira pas, — tout le fait craindre, — les heureux résultats que des économistes judicieux et éclairés en avaient pu espérer. Tout le monde reconnaît que l’organisation actuelle des caisses d’épargne, et surtout l’emploi qui est fait de leurs dépôts, constituent un danger public que chaque année qui s’écoule rend plus redoutable et plus difficile à conjurer.

Il semblerait donc que, toute affaire cessante, on dût s’occuper de chercher le remède à cette situation et l’appliquer d’urgence ; mais les préoccupations électorales sont intimement mêlées à l’affaire ; toute réforme des conditions existantes peut froisser une couche d’électeurs sans produire une quantité équivalente de satisfactions. Par la préface de la discussion du rapport Aynard (première lecture du projet de loi) on a pu juger déjà de la force de ces préoccupations. On a pu constater aussi combien sont mal comprises, au parlement, les conditions dans lesquelles se pose le problème, combien insuffisantes les solutions partielles présentées par la commission aux principales difficultés qui rendent aujourd’hui une réforme nécessaire.

« Œuvre de l’initiative individuelle, et non de l’État, dit M. Aynard, les caisses d’épargne ont rendu aux travailleurs qui ne pouvaient ni conserver matériellement leurs épargnes, ni les faire fructifier avec sécurité, le très important service de mettre ces épargnes à l’abri et de leur procurer un revenu égal à celui qui est obtenu par les grands capitaux. » Sur ce point, nul désaccord. Dans le passé, et jusqu’en 1881 environ, les caisses d’épargne ont fonctionné dans des conditions qui ne pouvaient laisser aux économistes, aux théoriciens, aux hommes d’Etat chargés de la gestion des finances françaises, aucun regret, ni leur inspirer aucune inquiétude. Aujourd’hui tout est changé. L’institution elle-même est plus prospère que jamais, les résultats qu’elle donne dépassent toutes les prévisions, mais en même temps elle met notre état financier en péril. Comment cela s’est-il fait ? D’où ce danger est-il venu ?


I

Les caisses d’épargne ont été à l’origine, et sont encore aujourd’hui, de nom, sauf la caisse nationale, des établissemens privés. Mais la loi organique du 5 juin 1835 a rendu pratiquement obligatoire la remise à l’État des fonds disponibles des caisses, et celle du 31 mars 1837 a substitué la Caisse des dépôts et