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Outre que Descartes a ainsi posé le problème de la « critique, » il en a donné, d’une manière générale, la vraie solution : la seule réalité immédiatement saisie est celle de notre conscience, de notre pensée ; ce qui est conforme aux lois de cette pensée est vrai, et c’est seulement à travers le vrai que nous saisissons avec certitude les réalités autres que nous. De plus, en nous-mêmes, le fond de l’être est volonté, le principe ultime de l’existence doit donc être aussi volonté. Ce sont les conclusions mêmes de l’idéalisme contemporain.

Le second mérite de Descartes, en philosophie, est d’avoir montré que la pensée est irréductible au simple mouvement dans l’étendue. Bien des savans l’oublient encore de nos jours. Descartes leur répond d’avance : « Dire que les pensées ne sont que les mouvemens du corps, c’est chose aussi vraisemblable que de dire : le feu est glace, ou le blanc est noir. » Descartes a ainsi déterminé à la fois et l’immense domaine du mécanisme et la limite infranchissable au-delà de laquelle il ne peut s’étendre : la conscience.

Son troisième mérite, c’est d’avoir commencé, mais sans la pousser jusqu’au bout, l’opération inverse, je veux dire la réduction du monde mécanique aux élémens du monde de la conscience. Par là, surtout, il nous a paru le grand initiateur de l’idéalisme moderne, mais il lui a donné une forme trop intellectualiste. Quoiqu’il ait placé le fond de l’existence dans la volonté même, il a trop conçu le monde extérieur « comme représentation, » pas assez « comme volonté. »

Dans ses derniers ouvrages, Descartes semble flotter entre ces deux pensées : la matière est une substance, la matière n’est qu’une abstraction. C’est la seconde, aujourd’hui reconnue pour vraie, qui est la plus conforme à l’esprit de son système. Pour Descartes, les faits naturels et les êtres matériels ne peuvent être autre chose que des composés de lois et de propriétés mathématiques ; ce sont des entre-croisemens du nombre, du temps, de l’étendue et du mouvement. Sa physique est, comme on l’a dit, un écoulement de sa métaphysique, qui elle-même, en ce qui concerne le monde matériel, n’est autre chose que la pure mathématique. Aussi avons-nous vu le monde extérieur, chez Descartes, se résoudre en idées. L’étendue est d’essence idéale, et il ne faut pas grand effort pour la réduire à une idée pure. « Plusieurs excellens esprits, dit Descartes dans sa curieuse réponse aux instances de Gassendi, croient voir clairement que l’étendue mathématique, laquelle je pose pour le principe de ma métaphysique, n’est rien autre chose que ma pensée, et qu’elle n’a, ni ne peut avoir, aucune existence hors de mon esprit. » Voilà Descartes au pied du mur ; comment va-t-il répondre ? Réclamera-t-il pour