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idées « naturelles » avec les qualités ou maladies du corps transmises par hérédité est une intuition anticipée de la doctrine évolutionniste, qui explique les formes de la pensée par celles du cerveau, et celles du cerveau par une organisation héréditaire. Mais Descartes n’aurait point voulu admettre, avec Spencer, que tout soit « produit » dans notre pensée par l’action du monde extérieur. Cette action, Descartes la supprime même, à vrai dire, puisqu’il admet deux séries parallèles, — idées et mouvemens, — qui se développent simultanément, pari passu. Il faut donc bien que le monde intérieur ait en lui-même ses raisons de développement et conserve sa logique native, tout comme la nature de l’étendue a en soi les propriétés mathématiques et mécaniques qui n’en sont que le déploiement.

Avons-nous besoin de faire remarquer combien nous sommes loin de la ridicule théorie qu’il est de tradition d’attribuer à Descartes et de réfuter triomphalement, sous ce nom d’idées « innées ? » Quelque opinion qu’on adopte sur le sujet, il est difficile de refuser à Descartes le grand principe de sa théorie idéaliste ; que les idées ou images des choses se produisent en nous nécessairement, selon les lois naturelles de notre esprit, comme les figures de l’étendue se produisent nécessairement selon les lois naturelles du mouvement.


VIII

Avec l’idée du moi, l’idée la plus « naturelle » à l’esprit, selon Descartes, est celle de l’infini. On a quelquefois prétendu que l’idée de Dieu, dans la philosophie cartésienne, avait un rôle accessoire et surajouté. En fait, cette idée est aussi fondamentale chez Descartes que chez Spinoza. Mais autre est la philosophie, autre la théologie. Descartes avait en horreur les controverses théologiques. Sa foi religieuse était sincère, mais il mettait à part de la science et de la philosophie « les vérités de la religion. » Il avait une telle notion de l’incompréhensibilité divine qu’il pouvait bien, d’un côté, admettre une révélation qui n’était qu’un mystère de plus ; mais, d’un autre côté, il considérait comme vaines les discussions sur les mystères. « Je révérais notre théologie, dit-il, en racontant ses études à La Flèche, dans une page bien connue ; » mais, ajoute-t-il, « je pensai que, pour y réussir, il était besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel et d’être plus qu’homme. »

À cette époque, le cours de philosophie, qui faisait suite à de fortes études littéraires, durait deux ans : première année, logique et morale ; seconde année, physique et métaphysique ; une