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VII

Au problème des rapports de l’esprit et du corps se rattache celui des idées. On aurait mieux compris la fameuse théorie de Descartes sur les idées innées, si on l’avait envisagée par là interprétée en son vrai sens, elle prend un aspect nouveau et original que nous devons mettre en lumière. Il y a, selon Descartes, une première classe d’idées « qui n’appartiennent à l’âme qu’autant qu’elle est jointe au corps ; » ce sont des idées venant de la vie même et qui l’expriment : telles sont celles des fonctions corporelles. Il y a, au contraire, des idées qui appartiennent à l’esprit en tant qu’il est « distinct de la matière étendue, » quoique uni à elle ; telles sont les idées de la pensée même, de la volonté, de l’unité et de la pluralité, du semblable et du dissemblable, de la perfection, de l’infini, etc. ; ces idées expriment non plus le dehors dans le dedans, mais le dedans lui-même, l’essence et la nature propre de l’esprit ; elles sont donc, dit Descartes, « naturelles » à l’esprit et, en ce sens, « innées. »

Cette théorie souleva, ainsi que les autres doctrines cartésiennes, les objections de Hobbes, de Gassendi, d’Arnauld, d’une foule d’autres philosophes dont il avait demandé les critiques avant de donner à l’imprimeur le manuscrit de ses Méditations. — « Je ne me persuade pas, leur répond Descartes, que l’esprit d’un petit enfant médite dans le ventre de sa mère sur les choses métaphysiques. » Inné ne veut pas dire : né avec nous dès le premier instant de notre vie, mais : naissant en nous, à quelque moment que ce soit, sans provenir du dehors. En d’autres termes, notre entendement a une certaine constitution naturelle, qui le rend propre à prendre de lui-même telles formes ou telles directions et à en avoir une conscience qu’on appelle l’idée. Descartes s’indigne qu’on méconnaisse cette constitution native et, devançant les vues profondes de l’idéalisme kantien, il s’écrie : — « Comme si la faculté de penser, qu’a l’esprit, ne pouvait d’elle-même rien produire ! » — « Je les ai nommées naturelles, ces idées, ajoute-t-il, mais je l’ai dit au même sens que nous disons que la générosité ou quelque maladie, comme la goutte ou la gravelle, est naturelle à certaines familles. Non pas que les enfans qui prennent naissance dans ces familles soient travaillés de ces maladies au ventre de leur mère, mais parce qu’ils naissent avec la disposition ou la faculté de les contracter. » Cette remarquable comparaison des