où nous tournons sur nous-mêmes comme une porte sur ses gonds, sans avancer d’un sujet donné à un attribut nouveau qui ne serait pas donné ? Nous répondrons qu’il est de capitale importance, plus encore peut-être aujourd’hui qu’au temps de Descartes, d’établir que la seule réalité immédiatement certaine est précisément une réalité de conscience. Par là, en effet, la conscience fournit le seul type d’existence qui nous soit connu et connaissable. C’est quelque chose, assurément, puisque Descartes pose ainsi une limite infranchissable aux prétentions du matérialisme, présent ou à venir. Si la matière n’existe pour nous qu’en tant que nous la sentons et pensons, il est difficile de croire que la sensation, que la pensée n’ait pas elle-même une réalité supérieure. Sur ce point, la position de l’idéalisme moderne est à jamais inexpugnable. Les faits de conscience sont les premiers des faits, sans lesquels nous ne pourrions saisir aucun autre fait. Si donc, par la conception du mécanisme universel comme expliquant le monde entier des corps, même organisés, Descartes a fait au matérialisme la part la plus considérable qu’un philosophe puisse lui faire, en revanche, par son cogito, il a établi la base inébranlable de l’idéalisme.
En même temps que le cogito nous fournit le type de la réalité, il nous fournit celui de la certitude. Qu’est-ce qui fait que ma pensée est certaine ? c’est que j’en ai l’idée « claire et distincte ; » seules nos idées claires et distinctes atteignent directement leurs objets, ou plutôt, sont identiques à leurs objets mêmes. Au-delà de mon idée claire de ma pensée, il ne peut y avoir une pensée qui en serait différente ; au-delà de mon idée claire d’étendue, il ne peut y avoir une étendue toute différente ; au-delà de mon idée claire de triangle, il ne peut y avoir un triangle qui ne lui serait pas conforme. Au contraire, par-delà mes idées confuses de chaleur et de froid, il y a, dit Descartes, quelque chose qui ne leur ressemble pas ; ces idées ne doivent donc point entrer comme telles dans la science. On pense véritablement ou on ne pense pas, mais on ne peut véritablement penser que ce qui est. Quand vous dites : « La neige est froide, » vous croyez penser, vous ne faites, dit Descartes, qu’exprimer cette affection obscure et indéfinissable que vous éprouvez au contact de la neige ; mais la transporter à la neige elle-même, est-ce là penser ? Non, c’est rêver, c’est prendre une affection de vos sens, dont vous ne pouvez vous expliquer la nature, pour une qualité inhérente à la neige elle-même. Et ainsi rêvons-nous tous quand nous croyons que l’herbe de la prairie est verte, que la cloche qui tinte est sonore, que le soleil même est brillant. Oui, le soleil a beau m’éblouir, il n’éblouit que mes yeux, non mon esprit ; son éclat même est dans ma faculté de sentir, il est en moi, non en lui ; pour ma « pensée, »