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Mont-Cenis, y faire des opérations météorologiques et chercher la cause des avalanches. Bientôt, à la suite d’entretiens avec le cardinal de Bérulle, Descartes prend la résolution, depuis longtemps projetée, de se livrer tout entier et définitivement à la philosophie, et cela, non pas seulement en vue de la spéculation pure, mais « pour procurer, autant qu’il était en lui, le bien de ses semblables. » Descartes, en effet, eut toujours des préoccupations pratiques autant que théoriques. Il comparait volontiers la science universelle à un arbre dont la métaphysique est la racine, la physique le tronc, et dont les trois grandes ramifications sont la mécanique, la médecine et la morale, où s’épanouissent enfin tous les fruits qu’il est donné à l’homme de cueillir. Si, plus tard, il se retire en Hollande, dans le « désert » d’un peuple affairé, c’est pour accomplir en repos ce grand dessein. « Jusqu’à ce moment, dit son biographe Baillet, il n’avait encore embrassé aucun parti dans la philosophie. » Il devait séjourner vingt ans en Hollande, changeant souvent de résidence pour se dérober aux importuns. « Il ne tient qu’à moi, écrit-il à Balzac, dans une lettre célèbre, de vivre ici inconnu à tout le monde. Je me promène tous les jours à travers un peuple immense, presque aussi tranquillement que vous pouvez le faire dans vos allées. Les hommes que je rencontre me font la même impression que si je voyais les arbres de vos forêts ou les troupeaux de vos campagnes. Le bruit même de tous ces commerçans ne me distrait pas plus que si j’entendais le bruit d’un ruisseau… Y a-t-il un pays dans le monde où l’on soit plus libre ? » La liberté et la paix de l’esprit, c’étaient les deux plus grands biens pour notre philosophe, les deux conditions de cette recherche de la vérité à laquelle il avait promis de consacrer sa vie. Aussi blâmait-il tout ce qui enchaîne la liberté du philosophe, certaines promesses ou certains vœux ; et probablement, s’il ne se maria point, ce fut pour pouvoir se donner tout entier à l’étude. Mais ce « cycle métaphysique, » qui répond au séjour en Hollande, continue d’être en même temps scientifique, quoique d’une autre manière : Descartes, en s’occupant des diverses sciences, a le continuel souci d’une synthèse finale embrassant le monde entier. De là ce fameux Traité du monde, qu’un excès de prudence lui fit supprimer à la nouvelle de la condamnation de Galilée.

On voit qu’il ne faut pas se figurer en Descartes un métaphysicien entièrement perdu, comme Malebranche, dans le monde idéal : c’est un savant ayant les yeux ouverts sur la nature entière, mais avec sa pensée idéaliste de derrière la tête. Il faut, dit Descartes, à plusieurs reprises, il faut, une fois dans sa vie, comprendre les « principes de la métaphysique, » puis étudier le