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marchandise à crédit d’un an ou quinze mois aux détaillans, et en tirent par ce moyen 10 pour 100 d’intérêt. » Ils servaient à leurs commanditaires ou prêteurs un revenu de 6 à 7 pour 100. Ce genre de placement cessa vers le milieu du règne de Louis XIV ; sans doute lorsque les marchands grossiers se trouvèrent assez riches pour se passer de l’argent des tiers. Toutefois ces divers emplois du numéraire expliquent que la baisse du taux de l’intérêt, qui se précipite si rapidement au XVIe siècle, se soit arrêtée sous Henri IV.

Les constitutions de rentes mobilières, de 1600 à 1625, se font à 6 1/2 et 7 pour 100, bien plus fréquemment qu’à 6 ou à 5 ; sous le ministère de Mazarin, le taux de 6 pour 100 est normal. Durant les heures difficiles de la guerre de Trente ans, des administrateurs de Gascogne font faire « des criées en ville pour offrir de l’argent à la rente » à 6.66 pour 100, et sont parfois forcés d’aller jusqu’à 8.33, — le denier 12, — quoiqu’ils le déclarent « de pernicieuse conséquence pour les pauvres. »

Au début du XVIIIe siècle, les conditions du prêt avaient bien changé. Le taux de 7 pour 100, jadis atteint pour des rentes perpétuelles, n’était pas dédaigné par les prêteurs pour des rentes viagères, dans les années, si dures pourtant, de la guerre de la succession d’Espagne. Les hospices de Paris et des grandes villes remplissaient pour cette opération le rôle de nos compagnies d’assurances sur la vie. La solidité de leur fortune, la confiance qu’elle inspirait, leur permettaient de s’y livrer avec succès ; et le gouvernement trouvait leur concurrence si redoutable pour la rente 5 pour 100 dont il devait imposer l’achat (1708), qu’il défendait la constitution de rentes viagères à un taux plus élevé que le taux légal, « parce qu’une bonne partie des biens du royaume tomberait ainsi, par la suite du temps, en la propriété des gens de mainmorte. »

Des efforts tout contraires étaient faits à la même date sur les bords du Rhin pour d’autres motifs. A Bâle, les établissemens religieux et de bienfaisance se voyaient menacés de la ruine par la baisse du taux de l’intérêt, et les pouvoirs locaux voulaient maintenir en leur faveur, coûte que coûte, à 5 pour 100, l’intérêt qui tombait à 4. Ainsi, après avoir tenté d’abaisser le taux au moyen âge, des administrations publiques croyaient devoir, et surtout croyaient pouvoir, l’élever. Inutile de dire qu’elles ne réussirent pas plus dans la seconde tentative que dans la première, que le seul résultat de leur action fut toujours nuisible à ceux qu’elle entendait servir. Sous Louis XV, quand on prétendit, par ordonnance royale, réduire le taux de l’intérêt de 5 à 4 pour 100 (1766), on le fit immédiatement monter de 5 à 6.