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sur la personne et l’ensemble des biens du débiteur, augmentent singulièrement en nombre. « A prendre votre costume depuis les pieds jusqu’à la tête, dit l’Avare de Molière à son fils, il y aurait là de quoi faire une bonne constitution. » Ces constitutions ou pensions, que l’on se transmet et dont on hérite, ne sont autre chose que l’intérêt d’un prêt, le plus souvent non remboursable, fait par un particulier à un autre. Les valeurs de ce genre sont très inégalement réparties entre les diverses classes sociales ; presque toutes sont aux mains de la bourgeoisie urbaine, de grand et de petit plumage. Les gentilshommes sont emprunteurs plutôt que créanciers. A Amiens, un président à la chambre des comptes jouit de 4,500 livres de rente sur le duc de Chaulnes, un conseiller à la cour des aides en a 1,000 sur le maréchal de Schomberg ; l’assesseur en la prévôté de Montdidier en possède 300 sur le marquis de Feuquières, et un chanoine de Péronne 200 sur le comte de Créqui.

Les emprunts publics municipaux, qui se fractionnent en parts très minimes, des exploitations privées, mises en actions, des sociétés commerciales de diverse nature, attirent, dès le règne de Louis XIII, une bonne partie de l’épargne. On négocie, en 1643, des rentes sur les coches et carrosses de Rouen ; ce sont les « parts de fondateur du canal de Suez » d’alors.

Une nouvelle sorte de biens-meubles, que les XIVe et XVe siècles avaient ignorée, que nos contemporains ne connaissent plus guère, mais qui occupe une place importante dans le portefeuille des gens aisés aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce furent les charges vénales, financières ou judiciaires, charges de robe et d’épée, roturières et nobles, modestes ou grandioses, depuis cent livres jusqu’à cinq cent mille. Ainsi que dans la mythologie grecque ou romaine, on supposait l’existence d’un génie protecteur de chaque ville, de chaque maison, et l’on s’arrangeait de façon qu’il y eût des dieux pour toutes les circonstances de la vie et pour toutes les positions sociales ; de même, de 1600 à 1790, n’est-il rien ni personne qui n’ait fourni matière à la création de quelques « officiers, » — ainsi nommait-on les fonctionnaires-propriétaires d’alors. — Traverser un pont, couper un arbre, vendre une botte de foin, monter en coche, quoi que l’on puisse faire, la loi l’a prévu, réglé, fixé, tarifé.

Le plus grand nombre de ces offices étant inutile, leur création doit être assimilée à un pur emprunt d’État, à une dette consolidée, assez semblable à celle qui se paie, sous le contrôle du prévôt des marchands, aux guichets de l’Hôtel de Ville de Paris. La rente, nominalement émise à 6.25 pour 100, durant la minorité de Louis XIV, ne l’était réellement qu’à 8.33. Il était naturel que les