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Il est une période de l’histoire pratique des monnaies, sur laquelle le lecteur serait en droit d’attendre de nous des renseignemens nouveaux, c’est celle qu’embrasse le système de Law. Tout le monde a entendu dire qu’à cette époque les prix furent bouleversés, que ceux des immeubles montèrent au quintuple, que le numéraire avait perdu non-seulement son pouvoir d’achat, mais aussi sa valeur nominale. En effet, les tables de M. de Wailly et de Leber nous apprennent que, par suite du « système, » la livre-monnaie, convertie en francs de 4 grammes 1/2 d’argent fin, d’après les cours officiels du marc, aurait valu, de 1718 à 1724, 0 fr. 70 à 0 fr. 32 seulement.

Or cela n’est vrai que dans une imperceptible mesure, en dehors de la rue Quincampoix, du Palais-Royal, des boutiques et des salons de quelques spéculateurs, qui édifiaient ce veau d’or en papier, le dépeçaient ou dansaient autour. Cette colossale mystification du « système, » le plus fameux de tous les krachs de bourse, dont les auteurs étaient à moitié dupes, comme toujours, n’a pas eu les conséquences économiques que l’on serait porté à s’imaginer. Aventure sans lendemain, elle ne produisit pas, même aux heures de son court triomphe, tous les résultats que l’histoire nous décrit. Les prix, exprimés en livres, sous et deniers, n’ont pas varié dans les provinces, ni même pour ainsi dire dans la capitale.

On a la preuve que les plus minces bourgs connaissaient, aux extrémités du royaume, ne fût-ce que par les édits et les arrêts du conseil d’État, la situation monétaire, le cours des billets de la Banque générale, la dépréciation des espèces d’or et d’argent ; mais, comme faisait le peuple du moyen âge, durant les altérations de Philippe le Bel et de Jean le Bon, les sujets de Louis XV laissaient aux agioteurs parisiens et aux fonctionnaires les cours officiels du marc d’or et d’argent. Ils continuaient à donner à la livre de compte la même valeur, ou à peu près, de 1718 à 1722, que dans les dernières années du règne précédent.

De telle sorte que, si l’on adoptait les cours officiels, si l’on donnait à la livre de ce temps une valeur moyenne entre 0 fr. 82 et 0 fr. 70, bien loin de constater la hausse des prix que plusieurs historiens de Law nous assurent avoir eu lieu, on se trouverait en présence d’une baisse énorme et tout à fait inexplicable. Dire que l’on ne trouverait pas des prix exprimés en livres d’agio, en « livres de bourse » (pour les appeler d’un nom qui leur convienne), livres dont la valeur n’était que de moitié ou du tiers des livres usuelles et commerciales, ce serait absurde ; la différence seule des prix ainsi établis, avec ceux qui les environnent, montre qu’ils ne sont pas formés de la même monnaie. Ils sont toutefois trop peu nombreux pour détruire la règle que je viens d’exposer, et qui a