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estimé en argent 6 deniers la livre. En 1626, le parlement décida que chacun de ces deniers du XVe siècle en représentait 4 du moment présent. Les tenanciers trouvaient encore leur compte à se libérer en numéraire, plutôt qu’en nature, puisque le fromage dont ils étaient redevables valait en 1626 six sous et non pas deux. Mais de semblables décisions judiciaires sont tellement rares, — je n’en ai pour ma part rencontré aucune autre, — que la dépossession, résultant pour les capitalistes de l’avilissement de la livre de compte, peut être considérée comme générale et absolue.

Ces droits féodaux, que des précautions minutieuses semblaient devoir maintenir, furent anéantis par ces précautions mêmes. On avait établi, pour le cas où le censitaire ne pourrait accomplir tel ou tel travail en personne, un rachat en argent qui, au début, a dû être égal, voire supérieur, à la valeur du travail. On dit, par exemple, qu’il devra « faire une journée de fauche de son corps, ou payer 12 deniers, » parce qu’alors la journée du faucheur valait 12 deniers au plus. Quand elle valut douze ou quinze sous, tout le monde se racheta, et le seigneur fut, qu’on me passe l’expression, floué sans aucun remède. Les mêmes causes qui, jusqu’à Henri IV, avaient amené cet avilissement de la livre, à savoir le changement de valeur des deux métaux par rapport l’un à l’autre, et l’intervention de l’État dans les monnaies, continuèrent d’agir de 1600 à 1800.

En recherchant, d’après les rares documens dont on dispose, la proportion respective des deux métaux dans la circulation, on voit qu’en 1640, à l’époque où furent refondus les anciens écus et fabriqués les premiers louis, il pouvait y avoir en France 300 millions de francs d’or et 750 millions de francs d’argent. Cette masse métallique dut aller en augmentant durant tout le XVIIe siècle, puisque le pouvoir des métaux précieux alla sans cesse en diminuant. Au XVIIIe siècle, de 1726, où fut ordonnée une refonte générale des espèces, jusqu’à 1789, il fut frappé pour 967 millions d’or et pour 1,956 millions d’argent. Il y avait seulement, à cette dernière date, deux fois plus d’argent que d’or, et non deux fois et demie plus, comme à l’avènement de Louis XIV. En 1640, l’argent équivaut à environ 72 pour 100 de la masse des monnaies, l’or à 28 pour 100. En 1789, l’argent ne correspond plus qu’à 66 pour 100 et l’or à 33 pour 100. Quoique plus abondant, l’or est cependant plus cher, puisqu’il vaut 15 fois 1/2 l’argent, au lieu de 14.75, comme en 1640.

Le mouvement s’est bien plus fortement accentué en notre siècle : dans l’union latine, dont la France fait partie, l’argent représente seulement 44 et l’or 56 pour 100 du numéraire.