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moyen âge ont réduit leur bien à peu près à rien. Nous avons vu deux de ces causes, nous allons voir la troisième.

La conclusion qui en découle, c’est qu’il n’y a pas dans notre pays, — la perte a été moins rude dans certains autres, puisque la livre anglaise valait encore 25 francs en 1789, tandis que la nôtre était tombée à 0 fr. 90, — un seul rentier qui date de plusieurs siècles. Les rentiers du temps de saint Louis, ceux du temps des guerres anglaises, ceux du temps de François Ier, sont tous plus ou moins réduits à la misère. Par la force seule des choses, ils ont été lentement et irrémissiblement dépouillés. Toutes les fortunes mobilières sont récentes, et ont pour origine le travail et l’industrie de leurs propriétaires actuels, ou des pères, grands-pères et tout au plus des arrière-grands-pères de leurs propriétaires actuels.


V

Un capital de 1,000 livres qui valait 22,000 francs en 1200, n’en valait plus intrinsèquement que 16,000 en 1300, 7,530 en 1400, 4,640 en 1500, et était tombé en 1600 à 2,570 francs. Il allait encore être réduit dans les temps modernes. Ces 1,000 livres qui valaient, en 1600, 2,570 francs baissèrent en 1650 à 1,820 francs ; en 1700, elles ne faisaient plus que 1,480 francs, en 1717 que 1,220 francs et en 1789 que 900 francs.

On ne peut s’empêcher de sourire quand on voit les colongers de Marmoutiers payer, au XVIIIe siècle, un denier de fermage par acre de terre, absolument le même prix qu’au temps de Charlemagne, où la livre valait intrinsèquement 81 francs de notre monnaie, et avait un pouvoir d’achat neuf fois plus grand ; ce qui donne pour ce denier, représentant humblement sous Louis XVI les trois quarts d’un de nos centimes, une valeur relative de 3 fr. en l’an 800.

Plusieurs ordonnances avaient stipulé que, lorsqu’il y aurait un changement dans les monnaies, le débiteur devait payer le poids d’argent qu’il s’était engagé à compter le jour du contrat, sans avoir égard à la quantité de pièces. Jamais ces ordonnances ne furent observées, ni pour les cens, ni pour les rentes foncières, ni pour aucun autre revenu ; la diminution se faisant graduellement, d’une manière presque insensible, sou à sou, les générations se succédaient sans pouvoir, sans songer peut-être, à protester contre une décroissance qui s’imposait à eux, sous l’aspect d’une inéluctable fatalité. Le seigneur d’Allan (Dauphiné) percevait en 1443, sur chaque possesseur de troupeaux, la redevance d’un fromage,