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régulières, le droit du vendeur de peser les espèces, avant de les recevoir, était tellement admis, que les ordonnances prétendant y porter atteinte demeuraient vaines, et provoquaient seulement « des querelles et des batteries. »


III

Comment la valeur de la livre parvenait-elle à se soustraire ainsi aux manœuvres fiscales des souverains de jadis, que l’on se figure armés de pouvoirs presque absolus ? C’est ce qu’il est aisé de concevoir, en descendant dans le détail des transactions privées. La livre tournois n’étant que monnaie de compte, les paiemens se faisaient en espèces d’or, d’argent ou de billon, françaises ou étrangères. Quand le roi altérait une de ces espèces, quelque monnaie d’argent en général, le commerce se rejetait sur les autres, auxquelles on n’avait pas touché. Il se fixait sur la monnaie d’or : l’agnel, la chaière, le florin, le franc, l’écu, le salut, le mouton, le royal, toutes pièces de 14 à 8 francs actuels, qui furent frappées depuis Philippe-Auguste jusqu’à Henri IV.

On sait combien de temps il faut aux ministres des finances du XIXe siècle, disposant de moyens d’action très divers, très étendus, pour retirer de la circulation les espèces qu’ils veulent démonétiser, quel concours doivent leur prêter pour cela les caisses privées ; le tout sans admettre aucune mauvaise volonté de la part de la population. Il serait fou de croire que des administrations du moyen âge, qui ressemblent aux nôtres comme une carriole ressemble à un chemin de fer, qui n’avaient pour ainsi dire pas de budget, pas de fonctionnaires, aient pu faire passer aisément, et surtout promptement, de leurs hôtels des monnaies dans les escarcelles des particuliers de Paris et de province, avec lesquels elles communiquaient à peine, des espèces que tout le monde voyait d’un mauvais œil ; ni qu’elles aient pu davantage faire rentrer un autre numéraire auquel la foule était attachée !

La proportion infime, que j’ai citée plus haut, de la faible monnaie à la forte (6 pour 100) dans les coffres d’un hospice, c’est-à-dire d’un établissement qui reçoit les espèces sans les choisir, puisqu’elles lui arrivent en grande partie par la voie de l’aumône, et d’un hospice situé dans la capitale, par conséquent tout à fait à proximité de la source des espèces altérées, cette proportion, constatée au bout des douze mois de la plus grande falsification nominale qu’il y ait eu dans notre histoire (1360), montre suffisamment que ces falsifications avaient de minces résultats.

De plus, il fallait compter avec les monnaies étrangères : l’Europe des temps féodaux, si particulariste à tous égards, si hérissée