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bouillante, — « le faux monnayeur est accoutumé à être bouilli, » — à ceux de leurs sujets qui s’avisaient de les imiter.

Le duc de Bourgogne accorde à l’évêque de Langres (1190), qu’il n’altérera ni le titre ni le poids de la monnaie de Dijon pendant sa vie, sans le consentement dudit évêque, mais réserve, sur cette prérogative d’altération, les droits de son fils et successeur. L’évêque d’Agen fait aux bourgeois de sa ville épiscopale et aux barons de l’Agenais la faveur de leur promettre (1233) qu’il maintiendra sa monnaie dans les conditions d’aloi précédemment réglées. Ce n’est pas chose rare qu’une députation venant de province présenter requête au souverain, « pour obtenir qu’il ne soit émis que de bonnes monnaies ; » avantage signalé et qui se paie.

Peu à peu les grands États renoncèrent à ces pratiques ou n’y eurent recours que lorsqu’ils étaient à bout de ressources. Quelque discrétion qu’ils y aient apporté dans les siècles qui nous avoisinent, ces atteintes à la valeur des espèces avaient cessé d’être tolérées par l’opinion. Un duc de Bretagne, en 1472, pouvait impunément faire monnayer un certain nombre de marcs d’argent « à six deniers de loi, » c’est-à-dire moitié argent moitié cuivre ; mais un roi de France ne le pouvait déjà plus. Quand Louis XIV ordonna les refontes, et prit avec le numéraire les libertés que l’on sait, à la fin de son règne, il lit scandale et souleva des tempêtes. Au contraire, on constate sans trop d’étonnement, au xiv° siècle, que telle monnaie ne contient qu’un quart de son poids en métal précieux. C’est une particularité qui ne tire pas à conséquence.

Ces deux modes d’altération gênent beaucoup ceux qui recherchent aujourd’hui le prix réel du kilogramme d’argent ; et, par prix réel, j’entends celui pour lequel il a été accepté par le public, et non celui que le roi lui a attribué dans un édit. Si, le marc d’argent valant cinq livres, on abaisse le titre de la monnaie de moitié, le même poids d’argent vaudra nominalement dix livres ; de même, si l’on déclare que la somme du numéraire représentant 245 grammes d’argent, et que l’on appelait « cinq livres, » sera désormais appelée « dix livres, » dans l’un comme dans l’autre cas, le mot « livre » ne correspond plus qu’à un chiffre de grammes moitié moindre de celui auquel il correspondait précédemment.

Voilà ce qu’on en devrait conclure, si l’on prenait au pied de la lettre les tables de prix de M. Natalis de Wailly. Mathématiquement, et sur le papier, ce serait exact ; pratiquement, et dans le commerce, ce serait faux. Les altérations monétaires n’ont pas eu le moins du monde les conséquences que l’on pourrait se figurer à première vue, et que l’histoire leur attribue. C’est un fait bizarre ; mais l’étude du prix des marchandises le prouve