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— Voilà pourquoi, hors de France, l’internat français, si artificiel, si forcé, si exagéré, est presque inconnu. En Allemagne, dans les gymnases qui correspondent à nos lycées, c’est à peine si, sur cent élèves, dix sont pensionnaires, logés et nourris dans le gymnase ; les autres, même quand leurs parens n’habitent point à portée, restent externes, hôtes privés d’une famille qui se charge d’eux, souvent à très bas prix, et remplace pour eux la famille absente. Il n’y a d’internes que dans quelques gymnases comme Pforta, et en vertu d’une vieille fondation ; mais, en vertu de la même fondation, leur nombre est limité ; ils dînent, par groupes de huit ou dix[1], à la table des professeurs logés comme eux dans l’établissement, et ils ont, pour s’ébattre, un vaste domaine, bois, champs et prairies. — De même en Angleterre, à Harrow, Eton et Rugby ; là, chaque professeur est maître de pension ; 10, 20, 30 élèves habitent sous son toit, et mangent à sa table ou à une table présidée par une dame de la maison. Ainsi, de la famille à l’école, sans chute douloureuse ni contraste brusque, l’adolescent reste sous le régime qui convient à son âge, et qui est la vie domestique, continuée, mais élargie.

Tout au rebours et contrairement au véritable esprit de l’institution scolaire, le collège ou lycée français est, depuis quatre-vingts ans, une entreprise de l’État, le prolongement local d’une œuvre centrale, un des cent rameaux de la grosse tige universitaire, sans racines propres, et son personnel dirigeant ou enseignant se compose de fonctionnaires, pareils aux autres, c’est-à-dire mobiles[2], instables et préoccupés de l’avancement, ayant,

  1. Bréal, ibid., 287. Id., Excursions pédagogiques, p. 10. « J’ai pris part (avec ces élèves), dans la chambre du célèbre latiniste Corssen, à un souper plein d’entrain et de gaîté, et je me souviens du sentiment qui me saisit, quand je revis, par la pensée, les repas que nous faisions en silence à Metz, au nombre de deux cents, sous l’œil du censeur et du surveillant-général et sous la menace des punitions, dans notre froid et monacal réfectoire. »
  2. Pelet de la Lozère, Opinions de Napoléon au Conseil d’État, p. 172. (Séance du 7 avril 1807) : « On fera circuler les professeurs dans l’Empire selon les besoins. » — Décret du 1er mai 1802, article 21 : « Les trois fonctionnaires chargés de l’administration et les professeurs des lycées pourront être appelés, d’après le zèle et le talent qu’ils apporteront dans leurs fonctions, des lycées les plus faibles dans les plus forts, et des places inférieures aux supérieures. »