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privés. — Dans les villes, et par force, ils deviennent des succursales du lycée et en répètent les classes : c’est ainsi que Sainte-Barbe à Paris peut subsister, et, jusqu’à l’abolition du monopole, les principaux établissemens de Paris, Massin, Jauffrey, Bellaguet, n’ont vécu qu’à cette condition, à la condition d’être des auxiliaires, des subordonnés, des aubergistes pour les lycées d’externes ; tel est encore le cas aujourd’hui pour Bossuet et Gerson. En fait d’éducation et d’enseignement, ce qu’une institution si réduite peut conserver d’originalité et de vertu pédagogique est bien peu de chose. — A la campagne, les oratoriens qui ont racheté Juilly sont obligés[1], pour fonder une maison libre et durable « d’éducation chrétienne et nationale, » de tourner la loi civile qui interdit les fidéicommis, de se constituer en « société tontinière, » de présenter leur entreprise désintéressée comme l’exploitation industrielle et commerciale d’un pensionnat lucratif et achalandé. Encore aujourd’hui, c’est par des fictions analogues que des entreprises analogues[2]parviennent à se fonder et à subsister.

Naturellement, sous ce régime préventif, les établissemens privés ont de la peine à naître ; ensuite, englobés, mutilés, étranglés, ils n’ont pas moins de peine à vivre, dégénèrent, dépérissent et succombent un à un. Pourtant, en 1815, sans compter les 41 petits séminaires avec leurs 5,000 élèves, il restait encore 1,255 maisons particulières, instruisant 39,000 écoliers, en face des 36 lycées et des 368 collèges communaux, qui ensemble n’avaient que 37,000 élèves. De ces 1,255 maisons privées, il n’en subsiste plus que 825 en 1854, 622 en 1865, 494 en 1876, enfin, en 1887, 302 avec 20,174 élèves ; en revanche, en 1887, les établissemens de l’État en ont 89,000, et ceux de l’Église 73,000. C’est surtout à partir de 1850 que la décadence des institutions laïques et privées se précipite : en effet, au lieu d’un concurrent, elles en ont deux, le second aussi formidable que le premier, l’un et l’autre pourvus d’un crédit illimité, maîtres de capitaux immenses, et résolus à dépenser sans compter, d’une part l’État qui prend ses millions dans la poche des contribuables, d’autre part l’Eglise qui puise ses millions dans la bourse des fidèles : entre des individus isolés et ces deux grandes puissances organisées qui donnent

  1. Charles Hamel, Histoire de Juilly, p. 413, 419 (1818). — Ibid., 532, 005(15 avril 1846.) Remplacement de la Société tontinière par une société à terme fixe (40 ans) avec un capital social de 500,000 francs divisé en 1,000 actions de 500 francs chacune, etc.
  2. Par exemple, Monge, l’École alsacienne, l’École libre des sciences politiques. Les jurisconsultes compétens conseillent aux fondateurs d’une école privée de la constituer sous forme de société commerciale, ayant pour objet le lucre et non le service du public ; si les fondateurs de l’école veulent en conserver la libre direction, ils éviteront de la faire déclarer « d’utilité publique. »