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demande, concurrentes, chacune d’elles attentive à conserver sa clientèle, chacune d’elles forcée, comme toute autre entreprise privée, d’ajuster son œuvre aux convenances et aux facultés de ses cliens. Très probablement, si on les eût laissées vivre, si le législateur nouveau n’avait pas été hostile, et par principe, aux corps permanens, aux fondations, à la mainmorte, si, par l’intervention jalouse de son Conseil d’État et par les prélèvemens énormes de son fisc, le gouvernement n’avait pas découragé les associations libres et les libres donations qu’elles peuvent mériter, les meilleures de ces écoles secondaires auraient survécu ; celles qui auraient su s’adapter au milieu ambiant auraient été les plus viables ; selon une loi bien connue, elles auraient prospéré en divergeant, chacune en son sens et dans sa voie. — Or, à cette date, après les abatis de la Révolution, toutes les voies pédagogiques étaient ouvertes, et, à l’entrée de chacune d’elles, on voyait des coureurs prêts, non-seulement des laïques, mais encore des ecclésiastiques indépendans, gallicans libéraux, jansénistes survivans, prêtres constitutionnels, moines éclairés, quelques-uns philosophes et demi-laïques d’esprit ou même de cœur, ayant en main les manuels de Port-Royal, le Traité des études de Rollin, le Cours d’études de Condillac, les méthodes d’enseignement les mieux éprouvées et les plus fécondes, toutes les traditions du XVIIe siècle depuis Arnauld et Lancelot, toutes les nouveautés du XVIIIe siècle depuis Locke et Jean-Jacques Rousseau, tous éveillés ou réveillés par le cri du besoin public et par l’occasion unique, avides de faire et de bien faire. En province[1]comme à Paris, on cherchait, on essayait, on tâtonnait ; il y avait de la place et des stimulans pour l’invention originale, sporadique et multiple, pour des écoles proportionnées et appropriées aux besoins différens et changeans, latines, mathématiques, ou mixtes, les unes de science théorique, les autres d’apprentissage pratique, celles-ci commerciales, celles-là industrielles, depuis le plus bas terre-à-terre de la préparation technique et rapide, jusqu’aux plus hautes cimes de l’étude spéculative et prolongée.

Sur ce monde scolaire en voie de formation, Napoléon a plaqué son uniformité, l’appareil rigide de son université, son cadre unique, étroit, inflexible, appliqué d’en haut, et l’on a vu par quelles contraintes, avec quelle insistance, quelle convergence de moyens, quelles interdictions, quelles taxes, quelle application du monopole universitaire, quelle hostilité systématique contre les établissemens

  1. Dans ma jeunesse, j’ai pu causer avec des témoins du Consulat ; ils portaient tous le même jugement. L’un d’eux, admirateur de Condillac et fondateur d’un pensionnat dans une ville du nord, avait écrit pour ses élèves plusieurs petits traités élémentaires, que je possède encore.