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M. Beugnot, en explique nettement les motifs et l’objet : il s’agit pour les gouvernans « de recueillir toutes les forces morales du pays, de s’unir les uns aux autres pour combattre et terrasser l’ennemi commun, » le parti antisocial, a qui, victorieux, ne ferait grâce à personne, » ni à l’Université ni à l’Église. En conséquence, l’Université renonce à son monopole : l’État n’est plus l’unique entrepreneur de l’instruction publique ; les écoles tenues par des particuliers ou des associations enseigneront à leur guise, non à la sienne ; il n’y inspectera plus « l’enseignement, » mais seulement « la moralité, l’hygiène et la salubrité[1] ; » elles seront exemptes de sa juridiction et affranchies de ses taxes. Partant, ses établissemens et les établissemens libres seront les uns pour les autres, non plus des adversaires dangereux, mais des « coopérateurs utiles ; » ils se devront et se donneront « de bons avis et de bons exemples ; » aux uns et aux autres, « il portera un intérêt égal ; » désormais son Université « ne sera qu’une institution entretenue par lui pour stimuler la concurrence, pour lui faire porter tous ses fruits, » et, à cet effet, il s’entend avec son principal concurrent, avec l’Église.

Mais, dans cette coalition des deux pouvoirs, c’est l’Église qui se fait la meilleure part, prend l’ascendant, donne la direction. Car, non-seulement elle profite de la liberté décrétée et en profite presque seule, pour fonder en vingt ans près de cent collèges ecclésiastiques, et pour placer partout des frères ignorantins dans les écoles primaires ; mais encore, en vertu de la loi[2], elle met dans le conseil supérieur de l’Université quatre évêques ou archevêques ; en vertu de la loi, elle met dans chaque conseil académique et départemental l’évêque diocésain avec un ecclésiastique désigné par lui ; d’ailleurs, par son crédit auprès du gouvernement central, elle jouit de toutes les complaisances administratives. Bref, d’en haut et de près, elle conduit, réprime, régente l’Université laïque, et, de 18/19 à 1859, la domination et l’ingérence ecclésiastiques, les tracasseries, la compression, les destitutions[3], les disgrâces, renouvellent le régime qui, de 1821 à 1828, a déjà sévi. Comme sous la Restauration, l’Église a mis sa main dans celle de l’État pour manœuvrer de concert avec lui la machine scolaire ; mais, comme sous la Restauration, elle s’est réservé la (1)

  1. Loi du 15 mars 1850, article 21.
  2. Ibid., chap. I, art. 1.
  3. Ambroise Rendu et l’Université de France, par E. Rendu, p. 128 (janvier 1850) Pouvoir discrétionnaire donné aux préfets pour frapper, parmi les instituteurs primaires, « les fauteurs de socialisme. » — Six cent onze instituteurs révoqués. — Dans l’enseignement secondaire et dans l’enseignement supérieur, la répression et l’oppression ne furent pas moindres.