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à sa conscience[1]. — Voilà le parti qu’on peut tirer de l’instrument scolaire ; après 1850, on l’emploiera de même et dans le même sens ; après 1796, on l’a fait travailler et, après 1875, on le fera travailler aussi vigoureusement, dans le sens contraire. Quels que soient les gouvernans, monarchistes, impérialistes ou républicains, ils sont toujours maîtres de s’en servir à leur profit ; c’est pourquoi, même résolus à n’en pas abuser, ils le conserveront en entier, ils s’en réserveront l’usage[2], et il faudra des secousses bien fortes pour rompre ou relâcher l’étreinte fixe par laquelle leurs mains tiennent la poignée centrale.

Sauf ces excès et surtout après la fin de ces excès, quand le gouvernement, de 1828 à 1848, cesse d’être sectaire, et que le jeu normal de l’institution n’est plus vicié par l’ingérence de la politique, les gouvernés acceptent en bloc l’Université, telle que les gouvernans la maintiennent : eux aussi, ils ont leurs motifs, les mêmes que pour se soumettre aux autres engins de la centralisation napoléonienne. — Et d’abord, comme l’institution départementale et communale, l’institution universitaire fonctionne toute seule ; elle n’exige qu’à peine ou point du tout la collaboration des intéressés ; elle les dispense de tout effort, tracas ou souci, et cela est bien commode. Pareille à l’administration locale, qui, sans leur concours ou avec leur concours presque nul, leur fournit des ponts, des chaussées, des canaux, la propreté, la salubrité et des précautions contre les fléaux qui se propagent, l’administration scolaire met à leur disposition, sans demander aucun effort à leur paresse, son service complet, tout l’appareil local et central de l’instruction primaire, secondaire, supérieure et spéciale, personnel et matériel, outillage et bâtimens, maîtres et programmes, examens et grades, règlemens et discipline, dépenses et recettes. Comme à la porte d’une table d’hôte, on leur dit : — « Entrez, asseyez-vous, on va vous présenter les plats qui vous conviennent le mieux et dans l’ordre le plus convenable ; ne vous préoccupez pas du service ni de la cuisine : une grande compagnie centrale, une agence bienfaisante et savante dont le siège est à Paris, s’en est chargée et vous en décharge. Tendez votre assiette, mangez, vous n’avez pas d’autre peine à prendre ; d’ailleurs, votre écot sera très petit. »

  1. De Riancey, Histoire de l’Instruction publique, II, 312. (A propos des cours de MM. Guizot et Cousin, suspendus par Mgr de Freyssinous) : « Il ne croyait pas qu’un protestant et un philosophe pussent traiter avec impartialité les questions les plus délicates de l’histoire et de la science, et, par une conséquence fatale du monopole, il se trouvait placé entre sa conscience et la loi. En cette occasion, il sacrifia la loi. »
  2. Liard, ibid., p. 837. A partir de 1820, « c’est une série de mesures qui, peu à peu, rendent à l’Université sa constitution primitive et finissent même par l’incorporer au pouvoir plus étroitement que sous l’Empire. »