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Le second acte de Salammbô est presque irréprochable. Il se passe dans le temple de Tanit et représente les cérémonies du culte rendu à la lune, qui tient en cette histoire une place considérable. Le tableau correspond exactement au tableau religieux de Sigurd. Mais dans Sigurd les rites étaient plus sévères ; ils sont ici plus doux et baignent dans une lueur d’opale. M. Reyer a marqué finement la différence en usant de timbres atténués, de tonalités gris perle, où flottent les litanies murmurées à mi-voix, où les harpes égrènent des gammes limpides, où plane très haute et très blanche, la voix d’un grand’prêtre ténor. Si longue qu’elle soit, en dépit aussi d’un ou deux cantiques un peu plats, la scène garde jusqu’au bout la plus belle allure, une couleur mystique et une ordonnance harmonieuse. Les motifs des hymnes et des évolutions sacrées s’enchaînent bien ; la marche sur laquelle Spendius et Mathô font leur entrée furtive souligne et met en valeur le dialogue des deux hommes et les cérémonies sacrées. Mais la suite vaut mieux encore. Salammbô, que tourmente le désir du zaïmph, Salammbô vient confesser au pontife les étranges ardeurs qui la possèdent. C’est un singulier état psychologique, et même, d’après les sous-entendus de Flaubert, physiologique, que celui de la vierge carthaginoise. Elle aime la lune, et le romancier a donné de cette tendresse sidérale des motifs qui justifieraient dans une certaine mesure une comparaison entre la fille d’Hamilcar Barca et la femme de Charles Bovary. Trouble de l’âme, et du corps, inquiétude à demi mystique, à demi sensuelle, tout cela, le musicien nous le fait sentir aussi profondément que l’écrivain. « Elle avait, dit Flaubert, grandi dans les abstinences, les jeûnes et les purifications, toujours entourée de choses exquises et graves, le corps saturé de parfums, l’âme pleine de prières. » Telle nous apparaît la Salammbô de l’Opéra dans son dialogue avec le grand-prêtre. Des choses exquises et graves, des prières, des parfums, c’est par les termes de cette prose qu’on donnerait le mieux l’idée de ces mélodies. Nous disons les mélodies ; mais il faut dire également les harmonies, l’orchestre et la déclamation. Celle-ci, par la justesse et la force, rappelle parfois, le style de Gluck. Chaque mot, chaque syllabe porte juste, sur la seule note qui lui convienne et qui puisse en fortifier l’expression ; toutes les inflexions de la voix suivent les inflexions de la pensée. Et dans l’instrumentation même, que d’heureux détails ! par exemple, avant les premières paroles du prêtre, deux ou trois envolées de harpes, une ritournelle qui répond avec calme, avec une paix auguste, aux instances de la vierge troublée. Pas un aveu, pas une question de Salammbô, qui ne trahisse la langueur, la curiosité, le désir et l’angoisse. Très pathétique, la période commençant par ce vers : Je ne sais ! Tout m accable et le repos me fuit ! pour s’achever et mourir sur un soupir délicieux de lassitude : J’ai dormi, pâle et solitaire, sous l’olivier d’or de Melkarth ! Plus charmante