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données chaque jour pour les repas : un homme de confiance va toutes les semaines à la halle, s’informe du prix courant des denrées, lui rapporte ce détail par écrit. De même Mme de Maintenon prodiguait maint conseil de ménage à son frère et à sa jeune belle-sœur. Ses élèves ont pour précepte de donner avec magnificence en toute occasion, mais de n’acheter et payer que comme des particuliers. L’appartement lui-même est un cours d’éducation, où la tapisserie représente, peints sur toile à l’huile, sur un fond bleu, les médaillons en grisaille des rois de Rome, des empereurs et impératrices jusqu’à Constantin : deux grands paravens rappellent les rois de France, les dessus de porte des traits mythologiques ; l’escalier est couvert de cartes géographiques. Il n’est pas jusqu’à la poupée de Mlle d’Orléans qui n’ait son utilité, elle lui répète ses leçons ; on ne prononce jamais le mot étude, parce « qu’il sonne ennui. » Les enfans étant d’abord tout sens, on attache aux sens les instructions qu’ils reçoivent. Comme dit Montaigne, il est bon que le maître lasse trotter devant lui le disciple, pour juger de son train : donc tous les soirs, deux heures avant la leçon de dessin, les élèves se rassemblent dans la chambre de la gouvernante, chacun lit tout haut pendant un quart d’heure, elle rectifie la prononciation, explique ce qui semble obscur, teint de leur soumettre ses ouvrages d’éducation et de les consulter : « La crainte qu’elle nous inspirait alors redoublait notre désir de lui plaire en montrant de l’admiration. » Dans les compositions littéraires, le duc de Montpensier surpasse tous les autres par l’élégance du style, tandis que celles du duc de Valois attestent de bonne heure l’esprit d’ordre, la raison et la droiture qui forment le fond de son caractère. « Il avait un bon sens naturel qui dès le premier jour me frappa ; il aimait la raison comme les autres enfans aiment les contes frivoles ; dès qu’on la lui présentait à propos et avec clarté, il l’écoutait avec intérêt. » Et Mme de Genlis put à bon droit s’applaudir d’avoir été la première institutrice de princes qui eût enseigné les langues modernes, d’avoir endurci leurs corps et fortifié leurs âmes, de les avoir accoutumés à se servir seuls, quand elle le vit, pendant la révolution, faire à pied le tour de la Suisse, passant partout pour un Allemand, et donner pour vivre des leçons dans un petit collège au bord du lac de Constance. L’éducation du monde n’abolit point cette éducation première, et s’il en vint, une fois émancipé de son admiration, à apprécier rigoureusement la conduite de son institutrice, il garda néanmoins toute sa vie l’empreinte de cette tutelle morale si savamment adaptée à sa nature, et l’on pourrait retrouver un trait de cette discipline remarquable dans une réponse qu’il fit en 1843 à la reine Victoria au château d’Eu, pendant qu’il pelait