Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maine interrogé par Louis XIV s’il était bien raisonnable : — « Comment ne le serais-je pas, puisque je suis élevé par la raison ? » (Mme de Maintenon) : sans doute ils eussent dit : par le génie. Ce qu’il faut reconnaître, c’est qu’elle leur témoigna un dévoûment maternel, que, pendant la Révolution, elle accompagna Mlle d’Orléans en Angleterre, en Suisse et ne se sépara d’elle qu’à la dernière extrémité. Ambition, amour de gloire et de domination, ces sentimens trouvent leur compte dans sa conduite, mais ils n’excluent point l’amitié passionnée pour ceux dont elle a façonné les âmes : et cet instinct de maternité pédagogique, on le retrouve à chaque pas de son existence ; il lui faudra toujours une intelligence à débrouiller, un être faible à protéger et à former ; après Paméla, Stéphanie Alyon, Helmina, Casimir. Elle se montre prompte aux enthousiasmes généreux, compatissante aux petits, aux humbles, désireuse de rendre service aux inconnus aussi bien qu’aux amis. C’est là une invincible obsession, et, tout compte fait, la meilleure rançon de ses péchés, car je compte pour peu cette religiosité qui la fit surnommer une mère de l’Église et inspirait à Napoléon 1er cette jolie observation : « Quand Mme de Genlis veut définir la vertu, elle en parle toujours comme d’une découverte. »

Afin de mieux habituer ses élèves à parler anglais, elle imagina de mettre auprès d’eux une petite Anglaise ; le chevalier de Grave, premier écuyer du duc d’Orléans, allant en Angleterre, se chargea de la commission, il en trouva une, la fit inoculer et l’expédia au duc de Chartres avec un billet ainsi conçu : « J’ai l’honneur d’envoyer à Votre Altesse sérénissime la plus jolie jument et la plus jolie petite fille de l’Angleterre. » Elle était ravissante, en effet, spirituelle, mais indolente, paresseuse au dernier point, et incapable de réflexion ; son caractère pronostiquait une destinée orageuse pour peu que le sort la jetât dans des situations extraordinaires, ce qui ne pouvait manquer d’arriver, car certaines natures appellent le roman comme les grands arbres attirent la foudre. Son nom de famille était Nancy Syms, on le trouva trop commun à Belle-Chasse et on l’appela Paméla Seymour : elle demanda d’y ajouter le titre de lady, cette fierté amusa tout le monde, et, en jouant, les enfans la traitèrent de milady. Mme de Genlis était coquette pour sa jeune orpheline, et, afin de faire valoir ses charmes, elle lui ordonnait de prendre différentes attitudes, de lever les yeux au ciel, de donner à son délicieux visage toutes sortes d’expressions. Et cependant elle recommande quelque part qu’on ait soin de ne pas exalter la tête des femmes, parce qu’elles sont nées pour une vie monotone et dépendante.

La maison de Belle-Chasse est tenue avec une rare économie ; la gouvernante sait le prix des choses, les doses des comestibles