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nation libre a le droit de surveiller l’éducation du prince, qu’elle doit en connaître tous les détails, et propose un journal, publiant le plan de ses études, l’emploi de toutes ses heures, les fautes et les bonnes actions de l’élève, bref, un plan complet d’inquisition ; elle fit des journaux pour les jeunes princes d’Orléans, mais il n’était pas question de les publier. Ainsi enfin, dans Adèle et Théodore, le monde chercha des noms vivans aux personnages du roman et ne les trouva que trop aisément. La baronne d’Almame, une perfection, était Mme de Genlis elle-même, Mme de Surville Mme de Montesson, Mme de Valée la comtesse Amélie de Boufflers, et derrière le pseudonyme de Mme d’Olry les initiés découvraient Mme de La Reynière. Le portrait amusa la ville et la cour, en voici quelques passages :

« La fortune immense qu’elle possède n’a pu la consoler encore du chagrin d’être la femme d’un financier ; n’ayant point assez d’esprit pour surmonter une pareille faiblesse, elle en souffre d’autant plus qu’elle ne voit que des gens de la cour, et que sans cesse tout lui rappelle le malheur dont elle gémit en secret. On ne parle jamais du roi, de la reine, de Versailles, d’un grand habit, qu’elle n’éprouve des angoisses intérieures si violentes qu’elle ne peut souvent les dissimuler qu’en changeant de conversation. Elle a d’ailleurs pour dédommagement toute la considération que peuvent donner beaucoup de faste, une superbe maison, un bon souper et des loges à tous les spectacles. Au reste, elle n’aime rien, s’ennuie de tout, ne juge jamais que d’après l’opinion des autres, et joint à tous ces travers de grandes prétentions à l’esprit, beaucoup d’humeur et de caprices, et une extrême insipidité. Quoique fort orgueilleuse d’être une fille de qualité, elle n’a pas montré le moindre attachement pour son père, parce qu’il a quitté le service et le monde, et qu’elle n’en attend rien. Elle n’aime point Mme de Valmont, qu’elle ne regarde que comme une provinciale, et elle a sans doute oublié qu’elle eut une sœur religieuse…[1] »

  1. On assure qu’après avoir lu cette satire, Mme de La Reynière se contenta de dire : « Je ne sais pourquoi Mme de Genlis oublie un trait dont personne ne devait se souvenir aussi bien qu’elle, c’est que cette femme de financier a poussé l’insolence autrefois jusqu’à donner des robes à une demoiselle de qualité de ses amies ; il est vrai que la demoiselle n’était connue alors que par sa jolie voix et son talent pour la harpe. »