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du croissant. » Ainsi, ce semble, devisait-on dans le salon du Palais-Royal.

Parmi les pastels littéraires qui abondent sous la plume alerte de Mme de Genlis, j’en rencontre deux qui donneront une idée très nette de sa manière, dans un mélange agréable de réflexions moralistes et de traits qui les soulignent. Il s’agit du respect de la société pour ces doctrines de bon goût dont l’opinion fait la seule base. « Ainsi, dit-elle, la femme la plus humoriste et la plus dédaigneuse sera toujours, chez elle, polie, obligeante. Cette espèce d’hospitalité, mieux exercée en France que dans aucun autre pays, est une des choses qui contribuent le plus, parmi nous, à l’agrément de la société. On ne se fâche point, on ne se formalise point, on ne se moque point chez soi, on n’y montre ni humeur, ni dédain, ni sécheresse ; voilà des maximes qui sont généralement suivies. Mme de Voyer est une preuve frappante de cette vérité ; avec beaucoup d’esprit, elle est la personne du monde la plus moqueuse, la plus capricieuse et la plus dénigrante envers les gens qui ne lui plaisent point. Rien de tout cela ne s’aperçoit chez elle ; qui ne la verrait que là serait persuadé qu’elle est d’une politesse aimable et constante, d’une parfaite égalité d’humeur, et qu’elle est remplie de bonhomie. Il faut pourtant se faire une extrême violence pour savoir se composer ainsi… Avec tous ces défauts et une figure étrange, Mme de Voyer a, dit-on, inspiré de grandes passions… Elle a les plus jolis pieds et les plus jolies mains de Paris ; d’ailleurs elle est fort laide, elle a le plus grand nez connu de la ville et de la cour ; elle fait elle-même sur cette espèce de difformité des plaisanteries qui ont beaucoup de grâce ; elle prétend que son nez, exactement mesuré, est plus long que sa pantoufle, et ce fait singulier ne paraît à personne une exagération. La belle Mme Cases, qui n’a pas de quoi comprendre que l’esprit puisse dédommager du manque de beauté, ne regarde jamais Mme de Voyer, son amie, sans éprouver une pitié déchirante, et, pour la consoler de ce malheur, elle lui parlait sans cesse de ses pieds et de ses mains. Ces éloges, continuellement répétés, ont fini par excéder Mme de Voyer qui, pour s’en délivrer, pria secrètement le président de Périgni de lui faire un jour une scène sur son nez, quand Mme Cases recommencerait ses louanges accoutumées. En effet, à la première occasion, et devant huit ou dix personnes qui n’étaient point dans la confidence, Périgni coupa la parole à Mme Cases qui se récriait sur la délicatesse et la blancheur des mains de Mme de Voyer : « Pour moi, dit-il, ce n’est point du tout là ce qui me charme dans Mme de Voyer ; je ne puis souffrir ses mains et ses petits pieds si vantés ; ce que j’aime le mieux, c’est son nez. » À cette incartade, tout le monde s’étonne, et Mme Cases frémit. « Oui, continua le