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passait pour être fort avant dans les bonnes grâces de l’autre[1] : la mère ne l’ignorait nullement ; mais, quand il s’agit d’établir avantageusement leurs enfans, les parens n’ont-ils pas de tout temps biaisé peu ou prou avec la morale ?

La mode des proverbes faisait rage, et pour une fête de la comtesse de Cernay Mme de Genlis composa un quadrille, musique et costumes, qui fît l’objet de toutes les conversations. Chaque couple formait un proverbe dans la marche deux à deux qui précède la danse. À Mme de Lauzun : Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée ; elle était vêtue avec une extrême simplicité, et dansait avec M. de Belsunce. A vieux chat jeune souris était le proverbe de la duchesse de Liancourt, qui eut pour cavalier le comte de Boulainvilliers, costumé en vieillard. Mme de Marigny donnait la main à M. de Saint-Julien arrangé en nègre, et lui passait souvent un mouchoir sur le visage : à laver la tête d’un Maure on perd sa lessive. Le vicomte de Laval, tout couvert de pierreries, l’air triste et ennuyé, marchait à côté de Mme de Genlis, habillée en paysanne et montrant une gaîté de jolies dents : contentement passe richesse. Il y avait aussi une figure de danse qui représentait un proverbe : reculer pour mieux sauter. On fit beaucoup de répétitions, et le quadrille eut tant de succès qu’on résolut de le danser au bal de l’Opéra ; mais une indiscrétion ayant ébruité le projet, quelques gentilshommes du Palais-Royal complotèrent d’y mettre obstacle, et lorsque les couples, après avoir exécuté leur entrée dans la salle au milieu des applaudissemens, se disposèrent à danser, voilà qu’un chat gigantesque vint tout à coup rouler sous leurs pas. C’était un proverbe ennemi : il ne faut pas réveiller le chat qui dort, tenu par un petit Savoyard, dont on se débarrassa au moyen de quelques bourrades. Les danseurs, outrés, prétendaient interroger le chat, découvrir les auteurs de cette trame et se venger, mais les danseuses les calmèrent en leur représentant qu’on n’y reviendrait plus, puisque chat échaudé craint Veau froide.

En 1770, Mme de Genlis, âgée de vingt-quatre ans, est nommée dame de la duchesse de Chartres, son mari devient capitaine des gardes du duc : la première place rapportait 4,000 livres, la seconde

  1. Mme de Montesson, qui laissa plus tard toute sa fortune à M. de Valence, avait arrangé ce mariage pour apaiser les soupçons de son prince. On raconta que, peu de jours après la cérémonie, Mme de Valence s’étant présentée chez la marquise, le valet avait répondu : « Je ne saurais vous annoncer, mademoiselle ; on n’entre jamais chez madame quand elle est avec M. le vicomte. — Vous direz à ma tante, aurait repris la jeune épousée, que je suis fâchée de ne pas l’avoir vue, et d’autant plus que M. le vicomte est mon mari. »