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matière, il ne le voulait pas ; il voulait croire en Dieu : « J’aime mieux m’abîmer dans son immensité que de renoncer à sa connaissance et à toute l’idée intellectuelle que je puis me former de lui. » Et voilà au moins un acte de foi de Frédéric.

À lire certaines phrases de lui et des poèmes sur le thème classique des bontés de Dieu, on dirait qu’il croit encore à la Providence et qu’il est demeuré optimiste, mais l’optimisme superficiel de son premier âge lui venait de la métaphysique de Leibniz. Quand il l’eut reniée et quand il eut renoncé à la recherche des premiers principes pour observer les hommes et la vie, alors ses souffrances, ses migraines, ses fièvres, ses coliques, ses tristesses, le spectacle des misères et plus encore celui des sottises humaines accablèrent son optimisme de leurs argumens redoutables et détruisirent sa foi en la Providence. Il se faisait, lui, une haute idée du gouvernement des hommes, qui lui paraissait l’emploi naturel des plus belles intelligences, et ce n’eût pas été trop à son avis que les esprits des Locke et des Voltaire pour régir le monde. Et que voit-il ? Les hommes de mérite méprisés, les faquins illustrés, et des empires gouvernés par des niais ! Il se demande alors « si la Providence est bien tout ce qu’on en dit. » Il doute qu’on « puisse donner une raison de cette bizarrerie des destins, » et il lui paraît que « tout se fait à peu près à l’aventure. »

Le hasard va-t-il donc se substituer dans son Credo à la Providence ? Le hasard semble s’y insinuer en effet, sa majesté le Hasard, ou notre saint-père le Hasard, comme il dira plus tard ; mais l’idée d’un ordre dans les choses convenait trop à son esprit et y était trop chez elle pour y tolérer l’idée contraire de l’aventure. Sans doute, dit-il, nous nous servons des mots hasard, fortune, et ce que nous appelons des coups de fortune survient pour déconcerter les plus sages, mais « fortune et hasard sont des mots vides de sens,.. des noms vagues donnés à des causes inconnues. » Du hasard, mais il n’y en a pas même dans les jeux dits de hasard ! Si les dés, par exemple, ont porté douze plutôt que sept, cela vient de la manière dont on les a fait entrer dans le cornet, des mouvemens de main plus ou moins forts, plus ou moins réitérés qui leur ont imprimé un mouvement plus vif ou plus lent. Faute de pouvoir décomposer ce phénomène, nous l’attribuons au hasard, mais ce sont ces causes qui, prises ensemble, s’appellent le hasard. Coordonnées et réunies dans la main de Dieu, toutes les causes des phénomènes, connues ou inconnues, sont les lois par lesquelles il gouverne l’univers. Mais Dieu lui-même ne peut ni par caprice, ni par bonté, arrêter ou modifier les effets des lois. Il ne peut faire qu’un triangle ait quatre angles, ni « que le passé n’ait pas été, »