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médiocres, comme il sied à un amateur, mais suivies d’un excellent souper qui répare tout : car, bien que son orgueil sût s’envelopper de politesse et de modestie, bien qu’il eût de l’esprit naturel, quelque facilité pour les vers et composât d’agréables chansons, le glorieux perçait parfois sous l’homme du monde, et l’opulence fastueuse, la singularité de quelques-unes de ses actions, défrayaient la moquerie de ces ambassadeurs, de ce monde d’élite, qui s’empressaient à ses fêtes. De tout temps sacs et parchemins ont cherché à se rencontrer, mais l’argent, même dépensé fort bien, a de la peine à se faire amnistier, et comme il n’est pas dans ses habitudes d’être modeste, les gens du bel air croient, très faussement, prendre leur revanche en raillant, ses allures : si le Bourgeois-Gentilhomme semble un peu ridicule, son ami, le comte, qui lui emprunte de l’argent et le bafoue, n’est qu’un odieux parasite. A Passy, tous les dimanches, la messe en musique de Gossec était accompagnée d’un grand dîner ; à cinq heures le concert, à neuf heures le souper, suivi d’une petite musique particulière. Le mardi était en général consacré aux lettrés et aux savans : on y voyait l’abbé d’Olivet, Mme Riccoboni, Vaucanson, le chevalier de Laurès, Bertin, le peintre Latour, un fameux original qui donnait à deviner comment il venait de Paris à Passy, observant que ce n’était ni en bateau, ni en voiture, ni à pied, ni à cheval, ni même par terre, ni en nageant. Voici le mot de l’énigme : il partait, avisait le long de la Seine un bateau auquel il s’accrochait, et, ainsi remorqué, arrivait à Passy. On peut croire qu’il se vantait ou qu’il n’usa pas souvent d’un semblable véhicule.

Au milieu de cette joie de vivre, guetté des plus jolies filles d’opéra qui se disputaient des sourires devenus, hélas ! à peu près platoniques, l’hôte de céans garde un goût de mariage que n’a pu détruire l’insuccès éclatant de sa première tentative. On le vit sur le point d’épouser une jeune personne de province, fille d’un pauvre gentilhomme, sur la foi de lettres charmantes qu’elle lui écrivit pendant six mois : il s’enflamme, offre sa main, la demoiselle arrive sans retard, mais l’original ne répond plus à l’idéal rêvé, l’esprit parlé à l’esprit écrit, un soupçon le prend, il interroge, elle avoue qu’elle ne sait pas même l’orthographe, et n’a fait que recopier les lettres rédigées par le curé de sa paroisse. La Popelinière lui donne alors un beau trousseau, trente mille francs de diamans, cent mille francs de dot, la marie à M. de Zimmermann, officier des gardes suisses, loge, nourrit les deux époux,.. et se met en quête d’une autre merveille. Il avait pris en goût Félicité et